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Les Relations des Jésuites contiennent 6 tomes et défont le mythe du bon Sauvage de Jean-Jacques Rousseau, et aussi des légendes indiennes pour réclamer des territoires, ainsi que la fameuse «spiritualité amérindienne».

samedi, juillet 03, 2010

ANNÉE 16666. Page 1

RELATION DE CE QVI S'EST PASSÉ EN LA NOVVELLE FRANCE ÈS ANNÉES 1665 ET 1666.
Par le R. P. FRANÇOIS LE MERCIER (*).

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(*) Copié sur l'exemplaire déposé à la Bibliothèque Impériale de Paris.

Relation-1666. A



CHAPITRE PREMIER.

De ce qui s'est passé de plus remarquable à Quebec.


Comme la Reine mere a toujours donné des marques toutes particulieres de sa bonté pour ce païs, et de son zele pour y establir la foy, on n'a pas creu devoir rien omettre de tout ce qui pouvoit contribuer à faire voir la reconnaissance que l'on en conserve aprés sa mort. Aussitôt que l'on en receut la nouvelle, on se mit en devoir de tesmoigner par le deuil des Eglises celui que chacun avoit tres-avant dans le cœur; elles furent toutes tendues en noir, et l'on y fit pendant plusieurs jours les services et les prieres ordinaires.

M. Talon, Intendant pour le roy en ce païs, signala surtout l'affection qu'il a pour le service de sa Majesté, et son respect pour la memoire de cette grande princesse, faisant faire le 3. d'Aoust de l'année 1666. dans la principale Eglise de Quebec, vn service chanté en musique qui eût semblé magnifique partout ailleurs, mais qui le parut au delà de ce qu'on peut exprimer dans un païs ou l'on n'avoit jamais rien vu de semblable.

M. de Tracy, Lieutenant General de sa Majesté en toute l'Amerique, M. de Courcelles Gouverneur de la Nouvelle France, M. l'Intendant et toutes les personnes considérables s'y trouveront en deuil et Mgr. l'Eveque de Pétrée y officia, assisté de plusieurs ecclesiastiques en chape.

Toute cette assemblée fut d'autant plus satisfaite de l'oraison funebre qui y fut prononcée qu'on y fit surtout l'eloge de ce zele admirable que cette grande Reine avoit toujours eu pour la conservation de ce pays, et pour le salut des infideles, dont on voit icy de tout costé des marques illustres.

C'est ce qu'on pouvoit mander de plus considerable de Quebec, et à quoy l'on a cru que l'on s'interesseroit davantage en France, comme l'on ne pouvoit rien faire en Canada avec plus de justice, ni avec plus d'affection.

Toutes les autres choses qui s'y font d'ordinaire soit pour le salut des ames, soit pour la gloire et pour les avantages de nostre nation, s'y font avec plus d'ordre, plus de soin et plus de vigueur que jamais, par le desir que ceux qui y sont ont de plaire au Roy du Ciel et d'obeïr au plus grand Roy de la terre, qu'on voit estendre les effets de sa vigilance et de sa bonté sur ces peuples, que Dieu appelle à la foy par son moyen, comme sur ceux dont la conduite lui a esté laissée par ses ancestres.

Entre plusieurs Sauvages qui ont esté, en mourant saintement, d'heureux fruits des Missions, on a surtout admiré vne petite fille Huronne que cette Eglise a perdue à l'aage de treize ans. Il n'y avoit rien de si surprenant que de voir cest enfant, qui, ayant perdu dès l'age de 10 ans son pere et sa mere, non-seulement se passoit de leur conduite, par les lumieres et les secours extraordinaires qu'elle recevoit de l'esprit de Dieu, mais tenait aussi bien de pere et de mere à deux freres qu'elle avoit beaucoup plus jeunes qu'elle.

Elle vivoit dans vne retraite et dans vn recueillement continuels, et Dieu luy donnoit des sentimens de nos mysteres si fort audessus de son age qu'il n'y avoit personne qui n'en fust surpris. Ses deux petits freres, qu'elle nourrissoit de son travail, recevoient aussi d'elle toutes les instructions et tous les exemples de vertu dont leur age estoit capable, de sorte que les plus habiles Missionnaires qui s'y fussent donné bien de la peine, n'eûssent pu y mieux reussir. La mort de ces deux petits garçons l'ayant laissée libre, elle demanda avec instance d'entrer chez les Meres Vrsulines, et elle estoit sur le point de l'obtenir, lorsqu'il plust à Dieu de la placer dans le Ciel parmi les Vierges qui suivent l'agneau.

Tous ceux de sa nation et les François de tout age alloient à l'envie admirer le courage de cette genereuse fille, et s'instruire par les exemples de sa resignation et de sa patience. La devotion tendre qu'elle avoit pour le Saint Sacrement de l'autel luy faisoit ardemment desirer de ne passer aucun jour sans recevoir ce pain de tous les jours. On le lui accorda seulement trois fois durant sa maladie et son extreme foiblesse ne la pust empescher de l'aller recevoir à genoux les deux premieres fois; mais la derniere, le mal l'ayant trop accablée, elle fut obligée de demeurer au lit: elle receut alors son Sauveur avec des sentiments si tendres, des desirs et des transports d'amour si ardents, que les personnes qui estoient accourues en grand nombre, fondoient en larmes à ce spectacle, et sembloient toutes ressentir la mesme devotion qui estoit dans le cœur de la malade: Ah! mon Sauveur, disoit-elle souvent, quand vous verrai-je; puisque ce ne peut estre en cette vie, accordez-moi vne prompte mort.

Rien ne l'affligeoit tant que lorsqu'on luy disoit que sa derniere heure n'estoit pas si proche; et l'on peut dire que cette sainte impatience de s'unir à Dieu, luy estoit incomparablement plus sensible que toutes les douleurs de sa maladie.

Elle se tenoit si asseurée de jouïr de ce bonheur, qu'elle promettoit sans hésiter aux personnes à qui elle avoit obligation de bien prier le Sauveur et sa Sainte Mere, pour leur obtenir les vertus qui leur seroient les plus necessaires. Enfin, le moment qu'elle avoit tant desiré estant venu, elle expira doucement en recommandant jusqu'au dernier soupir son ame à son espoux celeste.

Son visage, qu'elle avoit toûjours eu fort beau, parut aprés sa mort plus frais, plus vif et plus esclatant qu'à l'ordinaire; de sorte que tout le monde en glorifia Dieu, comme d'vn effet de sa toute puissance qui vouloit donner cette marque de l'estat heureux auquel il avoit appelé cette fille admirable. Les peuples, persuadés de sa Sainteté, parerent ce corps vierge, et accompagnerent son enterrement de toute la plus grande magnificence qui se puisse pratiquer en ce païs, comme s'ils eussent plutost celebré ses noces avec le divin espoux des ames, qu'vne ceremonie lugubre.





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En français contemporain
RELATION DE CE QVI S'EST PASSÉ EN LA NOVVELLE FRANCE ÈS ANNÉES 1665 ET 1666.
Par le R. P. FRANÇOIS LE MERCIER (*).

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CHAPITRE PREMIER.

De ce qui s'est passé de plus remarquable à Québec.


Comme la Reine mère a toujours donné des marques toutes particulières de sa bonté pour ce pays, et de son zèle pour y établir la foi, on n'a pas cru devoir rien omettre de tout ce qui pouvait contribuer à faire voir la reconnaissance que l'on en conserve après sa mort. Aussitôt que l'on en reçut la nouvelle, on se mit en devoir de témoigner par le deuil des églises celui que chacun avait très avant dans le cœur; elles furent toutes tendues en noir, et l'on y fit pendant plusieurs jours les services et les prières ordinaires.

M. Talon, Intendant pour le roi en ce pays, signala surtout l'affection qu'il a pour le service de sa Majesté, et son respect pour la mémoire de cette grande princesse, faisant faire Je 3 aoust de l'année 1666 dans la principale église de Québec, un service chanté en musique qui eût semblé magnifique partout ailleurs, mais qui le parut au delà de ce qu'on peut exprimer dans un pays ou l'on n'avait jamais rien vu de semblable.

M. de Tracy, Lieutenant General de sa Majesté en toute l'Amerique, M. de Courcelles Gouverneur de la Nouvelle-France, M. l'Intendant et toutes les personnes considérables s'y trouveront en deuil et Mgr. l'Évêque de Pétrée y officia, assisté de plusieurs ecclésiastiques en chape.

Toute cette assemblée fut d'autant plus satisfaite de l'oraison funèbre qui y fut prononcée qu'on y fit surtout l'éloge de ce zèle admirable que cette grande Reine avait toujours eu pour la conservation de ce pays, et pour le salut des infidèles, dont on voit ici de tout côté des marques illustres.

C'est ce qu'on pouvait mander de plus considérable de Québec, et à quoi l'on a cru que l'on s'intéresserait davantage en France, comme l'on ne pouvait rien faire en Canada avec plus de justice, ni avec plus d'affection.


Toutes les autres choses qui s'y font d'ordinaire soit pour le salut des âmes, soit pour la gloire et pour les avantages de notre nation, s'y font avec plus d'ordre, plus de soin et plus de vigueur que jamais, par le désir que ceux qui y sont ont de plaire au Roy du Ciel et d'obéir au plus grand Roy de la terre, qu'on voit étendre les effets de sa vigilance et de sa bonté sur ces peuples, que Dieu appelle à la foi par son moyen, comme sur ceux dont la conduite lui a été laissée par ses ancêtres.

Entre plusieurs Sauvages qui ont été, en mourant saintement, d'heureux fruits des Missions, on a surtout admiré une petite fille huronne que cette église a perdue à l'âge de treize ans. Il n'y avait rien de si surprenant que de voir cet enfant, qui, ayant perdu dès l'age de 10 ans son père et sa mère, non seulement se passait de leur conduite, par les lumières et les secours extraordinaires qu'elle recevait de l'esprit de Dieu, mais tenait aussi bien de père et de mère à deux frères qu'elle avait beaucoup plus jeunes qu'elle.

Elle vivait dans une retraite et dans un recueillement continuels, et Dieu lui donnait des sentiments de nos mysteres si fort au-dessus de son âge qu'il n'y avait personne qui n'en fut surpris. Ses deux petits frères, qu'elle nourrissait de son travail, recevaient aussi d'elle toutes les instructions et tous les exemples de vertu dont leur âge était capable, de sorte que les plus habiles Missionnaires qui s'y fussent donné bien dè la peine, n'eussent pu y mieux réussir. La mort de ces deux petits garçons l'ayant laissée libre, elle demanda avec instance d'entrer chez les Meres Ursulines, et elle était sur le point de l'obtenir, lorsqu'il plut à Dieu de la placer dans le Ciel parmi les Vierges qui suivent l'agneau.

Tous ceux de sa nation et les Français de tout âge allaient à l'envie admirer le courage de cette généreuse fille, et s'instruire par les exemples de sa résignation et de sa patience. La dévotion tendre qu'elle avait pour le Saint Sacrement de l'autel lui faisait ardemment désirer de ne passer aucun jour sans recevoir ce pain de tous les jours. On le lui accorda seulement trois fois durant sa maladie et son extrême faiblesse ne la put empêcher de l'aller recevoir à genoux les deux premières fois; mais la dernière, le mal l'ayant trop accablée, elle fut obligée de demeurer au lit: elle reçut alors son Sauveur avec des sentiments si tendres, des désirs et des transports d'amour si ardents, que les personnes qui étoient accourues en grand nombre, fondaient en larmes à ce spectacle, et semblaient toutes ressentir la même dévotion qui était dans le cœur de la malade: Ah! mon Sauveur, disait-elle souvent, quand vous verrai-je; puisque ce ne peut être en cette vie, accordez-moi une prompte mort.

Rien ne l'affligeait tant que lorsqu'on luy disait que sa dernière heure n'était pas si proche; et l'on peut dire que cette sainte impatience de s'unir à Dieu, lui était incomparablement plus sensible que toutes les douleurs de sa maladie.

Elle se tenait si assurée de jouir de
ce bonheur, qu'elle promettait sans hésiter aux personnes à qui elle avait obligation de bien prier le Sauveur et sa Sainte Mère, pour leur obtenir les vertus qui leur seraient les plus nécessaires. Enfin, le moment qu'elle avait tant désiré étant venu, elle expira doucement en recommandant jusqu'au dernier soupir son âme à son époux céleste.

Son visage, qu'elle avait toujours eu fort beau, parut après sa mort plus frais, plus vif et plus éclatant qu'à l'ordinaire; de sorte que tout le monde en glorifia Dieu, comme d'un effet de sa toute puissance qui voulait donner cette marque de l'état heureux auquel il avait appelé cette fille admirable. Les peuples, persuadés de sa Sainteté, parèrent ce corps vierge, et accompagnèrent son enterrement de toute la plus grande magnificence qui se puisse pratiquer en ce pays, comme s'ils eussent plutôt célébré ses noces avec le divin époux des âmes, qu'une cérémonie lugubre.











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