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Les Relations des Jésuites contiennent 6 tomes et défont le mythe du bon Sauvage de Jean-Jacques Rousseau, et aussi des légendes indiennes pour réclamer des territoires, ainsi que la fameuse «spiritualité amérindienne».

jeudi, juin 17, 2010

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CHAPITRE V.

De la Mission de S. François Xavier.

ARTICLE I.

Des avantages du lieu choisi pour bastir la Chapelle.


La baye communement appellee des Puans, reçoit une riviere, dans laquelle on faict la pesche de gibier et de poisson tout ensemble. Les Sauvages en sont les inventeurs; car s'estant aperceus que les Canards, les Cercelles et les autres oyseaux de cette nature, vont chercher dans l'eau les grains de folle-avoine qui s'y trouvent vers la saison d'Automne, ils leur tendent des rets si adroitement, que sans compter le poisson, ils y prennent quelquefois en une nuit jusqu'à cent pieces de gibier. Cette pesche n'est pas moins agreable qu'elle est utile; car c'est un plaisir de voir dans une rets, quand on la tire de l'eau, un Canard pris proche d'un Brochet, et les Carpes se brouiller dans les mesmes filets avec les Cercelles. Les Sauvages se nourrissent de cette manne pendant pres de trois mois.

La nature et la necessité qui leur ont enseigné cette sorte de pesche, leur ont donné aussi l'invention d'en faire une autre dans la mesme riviere, à deux lieuës de son emboucheure.

C'est une machine un peu grossiere, mais fort commode pour leur dessein, et qui fait qu'un enfant peut estre excellent pescheur. Ils la construisent de telle façon, qu'ils barrent toute la riviere d'un bout à l'autre; c'est comme une palissade de pieux qu'ils plantent dans l'eau en ligne droite, ne laissant de l'espace que ce qui est necessaire pour laisser couler les eaux au travers de certaines claies qui arrestent le gros poisson. Le long de cette barriere, ils pratiquent des eschafaux, sur lesquels ils se mettent en embuscade et y attendent leur proye avec impatience; lorsque le poisson, suivant le fil de l'eau, arrive à cette barriere, alors le pescheur enfonce un rets faict en forme de poche, dans lequel il faict aisement entrer les poissons.

Ces deux sortes de pesche attirent en cet endroit grand nombre de Sauvages de toutes parts. La situation du lieu n'y contribue pas peu, car sur le bord de cette riviere, vers l'endroit dont nous venons de parler, on veoit une prairie de quatre à cinq arpens de large, terminee de chaque costé de bois de haute fustaye. Et outre les raisins, les prunes, les pommes et les autres fruits qui y seroient assez bons, si les Sauvages avoient la patience de les laisser meurir, il se trouve encore dans les prairies une espece de citrons, qui ont du rapport à ceux de France, mais qui n'ont rien d'amer, non pas mesme dans leur écorce, la plante qui les porte tire un peu sur la fougere.

L'Ours, et le Chat sauvage, qui est grand comme un chien, d'une mediocre hauteur, remplissent le païs, et comme le bois y est fort clair, l'on veoit des grandes prairies dans les forests, qui rendent ce sejour agreable; c'est à ces sortes d'animaux, aussi bien qu'au Cerf, que la chasse se fait aisément, tant dans le bois qui n'est pas espais, que sur la riviere, dans laquelle il se jette souvent en courant, et où on va le prendre sans peine.

A tous les avantages de ce lieu, on peut ajouter qu'il est l'unique et le grand passage de toutes les Nations circonvoisines, qui ont un commerce continuel entre elles, ou de visite, ou de traffique; et c'est ce qui nous a faict jetter les yeux sur cet endroit pour y placer nostre Chapelle, comme au centre de plus de dix Nations differentes, qui nous peuvent fournir plus de quinze mille ames pour estre instruites des veritez du Christianisme.

C'est là où le Pere Claude Alloüez et le Pere Louis André se sont arrestez pour travailler au salut de tous ces peuples; et pour le faire plus commodement, ils se sont partagez, l'un s'appliquant aux Nations qui sont plus reculées dans les bois, et l'autre à celles qui sont sur le bord de la baye des Puans.

Article II.

Des Peuples qui habitent dans la baye des Puans, et de leurs fausses divinites.

Quatre Peuples differens sont placez vers le fond de la baye, et y vivent en partie de ce qu'ils recueillent de la terre, et en partie de la pesche et de la chasse. Deux autres un peu plus esloignez font leur demeure ordinaire sur les rivieres qui se deschargent dans cette mesme baye, du costé du Nord; et tous reconnoissent diverses sortes de divinitez ausquelles ils font souvent des sacrifices. Ces Peuples ont des Dieux, comme avoient autrefois les Payens, ils en ont dans le Ciel, dans l'air, sur la terre, dans les bois, dans les eaux, et mesme dans l'enfer; et comme il s'est trouvé des Theologiens qui mettoient des intelligences particulieres, non seulement dans les astres, mais encore sur la terre pour la conservation de chaque espece de toutes choses; ainsi ceux de nos Sauvages qui passent pour intelligens parmy eux, ont cette creance, qu'outre le Soleil et le tonnerre qu'ils reconnoissent pour les Dieux du Ciel et de l'air, chaque espece de bestes, de poissons et d'oyseaux, a un genie particulier, qui en a soin, qui veille à sa conservation, et qui la deffend du mal qu'on luy pourroit faire.

C'est pour cela, que comme les Egyptiens mettoient sur les autels les rats et les souris, ainsi ces peuples ont une consideration particuliere pour ces animaux, comme il parut dans une souris que nous avions prise et jettée dehors: car une fille s'en estant saisie, et ayant envie de la manger, son pere prit auparavant cette souris, et luy fist mille caresses, nous luy demandasmes pourquoy il en usoit ainsi? C'est, dit-il, que je veux appaiser le genie qui a soin des souris, afin qu'un mets si extraordinaire n'incommode pas ma fille.

Il y a certains animaux, aux genies desquels ils rendent beaucoup plus de respect qu'aux autres, parce qu'ils leur sont plus utiles. On ne sçauroit croire la veneration qu'ils ont pour l'Ours, car quand ils en ont tué quelqu'un à la chasse, ils en font d'ordinaire un festin solennel avec des ceremonies fort particulieres; ils conservent precieusement la teste de cet animal, ils la peignent des plus belles couleurs qu'ils peuvent trouver, et pendant le festin ils la placent dans un lieu eminent, afin qu'elle y reçoive les adorations de tous les conviez, et les louanges qu'ils luy donnent les uns apres les autres par leurs plus belles chansons.

Ils font quelque chose de semblable à l'égard des autres Divinitez; mais pour se les rendre favorables, ils pratiquent diverses sortes de devotions, dont voicy la plus ordinaire et la plus considerable: Ils demeurent quatre et cinq jours sans manger, afin qu'ayant par cette diette la teste affoiblie, ils puissent voir en songe quelqu'une de ces Divinitez, de laquelle ils croyent que depend toute leur bonne fortune; et parce qu'ils croyent qu'ils ne peuvent estre heureux à la chasse du Cerf, ou de l'Ours, s'ils ne les ont veus auparavant en songe, avant que d'aller chercher des bestes, tout leur soin est d'avoir en dormant la veuë de celle à qui ils en veulent.

C'est pour cela qu'ils se preparent à leurs chasses par de grands jeusnes qu'ils prolongent mesme quelquefois jusqu'à dix jours, ce que font plus ordinairement ceux de la Nation des Outagami; ils font bien plus, parce que pendant que les hommes sont à la chasse on oblige les petits enfans de jeusner, afin de pouvoir resver à l'Ours, que leurs parens vont chercher, et ils s'imaginent que la beste sera prise si elle est une fois veuë en songe, mesme par ces enfans.

Ils ont quantité d'autres superstitions qu'il seroit ennuyeux de rapporter icy, mais qui donnent bien de l'exercice à un Missionnaire, qui a tous ces monstres à combattre en mesme temps; c'est ce que le P. André a experimenté. Nous allons dire quelque chose des travaux qu'il a soufferts pour desabuser ces pauvres peuples.

ARTICLE III.

De la Mission faicte aux Peuples de la baye des Puans.


Le Pere les avoit deja fortement attaquez sur leurs vices, et particulierement sur leurs superstitions, pendant quelques mois qu'il avoit passez l'Esté dernier avec eux; mais y voulant employer tout l'Hyuer, il se mit en chemin le 13. Decembre, pour s'y rendre par des routes esguallement rudes et dangereuses: car s'estant engagé sur les glaces de la baye, et voulant couper de pointe en pointe pour se faciliter le chemin et l'abreger, il trouva sur le soir, quand il voulut gagner terre, que le passage en estoit fermé par des montagnes de glaces entasseez les unes sur les autres, qui faisoient comme un rampart, qu'il estoit impossible de percer; cependant le Soleil se coucha avant qu'il peust trouver d'issue. Le Pere avoit deja jetté les yeux sur quelque amas de glaçons, au milieu desquels il avoit dessein de passer la nuit à l'abry de ces montagnes de glaces; mais il fust bien inspiré de ne se pas arrester là davantage, car cet amas de glaçons des la nuit mesme, fust enlevé par les vents; il trouva une retraitte plus asseuree sur une pointe de terre qui avance sur ce Lac, et il y demeura avec ses compagnons, veritablement sans danger d'y perir, mais non pas sans y souffrir les rigueurs d'un froid tres-rude. Cependant il fallut garder ce poste si incommode pendant trois jours, apres lesquels un vent de bise ayant succedé à la pluye, ne fist de tout le Lac qu'une glace si unie, qu'il estoit tres-difficile de marcher sans tomber presque à chaque pas. Pour se delivrer d'un chemin si importun, il se jetta dans un autre et plus fascheux, et plus dangereux: car ayant pris sa route le long du bois, et s'estant engagé dans un païs embarrassé de cedres et de sapins, où les glaces n'estoient pas assez fortes pour le porter, il enfonçoit à tout moment; il se trouva mesme engagé au milieu de quantité de trous, qui s'etoient faits dans la glace: de sorte qu'il luy fust bien difficile de n'y pas demeurer. Il eschappa neantmoins, se traisnant au milieu de ces precipices, et continua sa route avec les mesmes perils et les mesmes fatigues, jusque a ce qu'il se rendist au lieu où estoient les Sauvages, dont un des principaux, pour le bien regaler aprés tant de peine, luy fist offre d'un sac plein de gland, qui n'estoit pas à refuser, car ce n'est pas là un petit present parmy ces peuples, qui n'ont point pendant l'Hyver, de mets plus delicieux, quand la chasse ou la pesche ne reussissent pas.

La premiere application du Pere, fust à visiter toutes les cabanes, à enseigner les enfans, et à expliquer par tout les mysteres de nostre religion. Les jours estoient trop courts pour contenter la saincte curiosité de tout ce peuple, qui ne luy donnoit pas mesme le loisir de prendre ses repas que bien tard, ni de satisfaire à ses devotions que dans quelque lieu escarté, où l'on ne laissoit pas de l'aller trouver.

La cause pour laquelle on le recherchoit avec tant d'empressement, estoient certains Cantiques spirituels, qu'il faisoit chanter aux enfans sur des airs François, qui plaisoient extremement à ces Sauvages; de sorte que, et dans les rues et dans les cabanes, nos mysteres se publioient et y estoient receus avec applaudissement, et s'imprimoient insensiblement par ces Cantiques, dans les esprits.

Ce succez donna du courage au Pere, et luy fist prendre resolution d'attaquer les hommes par les enfans, et de combattre l'idolatrie par des ames bien innocentes. En effet, il composa des Cantiques contre les superstitions, dont nous avons parlé, et contre les vices les plus opposez au Christianisme, et les ayant enseignez aux enfans au son d'une flute douce, il alloit par tout avec ces petits musiciens Sauvages, desclarer la guerre aux Jongleurs, aux Resveurs, et à ceux qui avoient plusieurs femmes: et parce que les Sauvages aiment passionnément leurs enfans, et souffrent d'eux toute chose, ils agreoient les reproches, quoy que sanglans, qui leur estoient faiz par ces Cantiques, d'autant qu'ils sortoient de la bouche de leurs enfans.

Il arrivoit quelquefois, que comme le Pere estoit obligé de refuter dans la chaleur de la dispute les erreurs de ces superstitieux, et convaincre les vieillards des faussetez et des impertinences de leur idolatrie, il arrivoit, dis-je, que cette trouppe d'enfans, s'ennuyant d'entendre tant disputer, se jettoient comme à la traverse, et entonnant leurs Cantiques, obligeoient leurs parens à se taire; ce qui donnoit bien de la joye au Pere, qui voyoit que Dieu se servoit de ces bouches innocentes pour confondre l'impieté de leurs propres parens.

Outre ces exercices de pieté qui se faisoient dans le bourg, le Pere assembloit les Sauvages dans sa petite Chapelle, où il avoit trois grandes Images propres pour l'instruction de ces Peuples, l'une du jugement universel, au haut de laquelle les parens estoient bien aises qu'on leur fist remarquer la place que tiendroient leurs enfans baptisez; et au bas, ils voyoient avec horreur les tourmens que le diable y endure.

Dans la seconde Image, sont depeints douze emblesmes, dont chacun contient un article du symbole des Apostres. La troisiéme faisoit voir Jesus mourant en Croix; l'ardeur de venir prier Dieu devant ces Images et d'y recevoir les instructions estoit telle, que plusieurs enfans y venoient pieds nuds sur la neige pendant pres d'un quart de lieuë de chemin qu'il y avoit à faire.

C'est dans ces emplois que le Pere passa tout l'Hyuer, parcourant les bourgs les uns apres les autres, et y mettant une saincte emulacion à qui sçauroit mieux les Cantiques spirituels, et à qui auroit plus d'enfans baptisez et de plus sçavans en nos mysteres.

Il ne faut pas pourtant qu'on se persuade qu'on puisse reprendre les vices des jeunes gens, descrier les Jongleurs, blasmer les festins superstitieux, et combattre à guerre ouverte l'idolatrie, sans recevoir de temps en temps des affrons, parmi des gens qui n'ont ni loix, ni police, ni magistrats qui empeschent les desordres. Le Diable prend trop d'interest à maintenir son royaume, pour ne pas susciter des persecuteurs contre ceux qui le destruisent; mais ces Croix sont les delices des Missionnaires, qui n'ont point de plus grand desir que de mesler leur sang avec leurs sueurs. Le Pere n'a pas esté privé de ces faveurs parmy ses travaux Apostoliques, pendant lesquels il n'a pas laissé de faire quelques remarques curieuses sur les marees de la baye des Puans, où il a passé une bonne partie de l'année.

ARTICLE IV.

Maree de la baye des Puans.


Voicy ce que le Pere en écrit. Je n'avois pas esté jusqu'à present du sentiment de ceux qui croyent que le Lac Huron estoit sujet au flux et reflux aussi bien que la Mer, parce que je n'avois remarqué rien de bien reglé pendant le temps que j'ay demeuré sur les bords de ce Lac; mais je commençay à douter qu'il n'y eust en effet de la maree dans la baye des Puans, apres avoir passé la riviere qu'on nomme de la Folle Avoine. Nous avions laissé nostre canot à l'eau dans un temps fort calme, et le lendemain matin, nous fusmes bien surpris de le voir à sec; j'en fus plus estonne que les autres, parce que je considerois que depuis longtemps le Lac estoit parfaitement calme. Des lors je pris resolution d'estudier cette maree, et d'abord je fis reflexion que le vent contraire, mais fort moderé, n'empeschoit pas le flux et reflux selon son cours; je reconnus aussi, que dans la riviere qui se descharge au fond de la baye, la maree monte et descend deux fois dans un peu plus de 24. heures; d'ordinaire elle monte d'un pied, et la plus haute maree que j'aye veuë, a fait croistre la rivière de trois pieds, mais elle estoit aidee d'un vent violent de Nordest; si le Suroest n'est bien fort, il n'empesche pas le cours de la riviere; de sorte que pour l'ordinaire, le milieu coule toujours en bas vers le Lac, quoy que l'eau remonte de chaque extremité, selon les temps reglez de la maree. Comme il n'y a que deux vents qui regnent dans cette riviere et sur le Lac, on pourroit aisement leur attribuer la cause de ces marees, si elles ne suivoient pas le cours de la Lune, de quoy cependant on ne peut pas douter, puisque j'ay descouvert manifestement qu'en pleine Lune les marees sont plus hautes, qu'elles retardent ensuite, et qu'elles diminuent toujours à proportion que la Lune descroist. Il ne faut pas s'estonner que ce flux et reflux soit plus sensible dans le fond de la baye que dans le Lac Huron, ou en celuy des Illinois: car quand la maree ne croistroit que d'un pouce dans ces Lacs, elle devroit estre bien remarquable dans la baye, qui a environ 15. ou 20. lieuës de long, et cinq ou six de larges, ou plus, en son commencement, et va toujours se retroicissant; ce qui faist que l'eau estant reduiste au fond de la baye dans un petit espace, y doit par necessité beaucoup plus monter que dans le Lac, où elle est plus au large.

ARTICLE V.

Mission du P. Claude Alloüez aux Maskoutench, aux Outagami, et autres Peuples vers le Sud.


Il faudroit presque autant de temps pour suivre icy le Pere Claude Alloüez, en racontant ses courses Apostoliques, qu'il en mist à les faire, parce qu'il n'a esté en aucune Nation, où il n'aist faict des choses pour la gloire de Dieu, qui seroient bien longues à rapporter.

On pourroit compter les travaux du Pere par les Baptesmes qu'il a faicts, et ces Baptesmes par les dispositions admirables de la Providence, qui ont esclaté pour le salut de ces Sauvages.

C'est ce qu'il sera aisé de reconnoistre par le peu que nous allons dire des peines presque incroyables qu'il a prises, pour enseigner des Peuples de cinq langues differentes, dont quelques-uns, qui viennent tout recemment des quartiers du Sud-ouest, n'avoient jamais entendu parler de la Foy.

Le Pere arrivant en la baye des Puans, apres plus de cent lieuës de navigation, ne fust pas si tost desbarqué, qu'il trouva un enfant qui ne faisoit que de naistre, et qui estoit prest de mourir; il le baptise, et l'envoye en mesme temps au Ciel.

Il baptisa au mesme endroit et en mesme temps un vieillard malade; mais qui ayant survescu à son Baptesme, n'a pas encore pû obtenir apres plus de soixante années, ce que l'enfant avoit eu apres un quart-d'heure de vie.

Voyons deux autres traits de la Providence. Le bon accueil qu'on fist au Pere chez les Maskoutench, luy donna occasion de conferer deux Baptesmes, et le mauvais traittement qu'il receut sur le chemin des Outagami luy en valut deux aussi.

Il trouva dans cette bourgade des Maskoutench, qui est la Nation du Feu, trois peuples de langues differentes; il y fust reçu comme un Ange venu du Ciel, particulierement de ceux qui estant arrivez de nouveau des quartiers du Sud, n'avoient jamais eu connoissance d'aucun François, ils ne pouvoient se rassasier de le voir; les jours estoient trop courts pour l'entendre parler de nos mystères, il falloit y employer les nuits entieres. Un si favorable accueil arresta bien volontiers le Pere, et luy donna lieu de baptiser deux malades. Une femme malade, qu'il fist chrestienne sur le chemin des Outagami, luy cousta de grandes fatigues; il fallut qu'il l'allast chercher dans un bois, où s'estant esgaré, il fust contraint de prendre son giste sous un arbre, et de passer la nuit sans feu au milieu des neiges.

Il luy fallut encore achepter d'autres baptesmes par de plus grandes souffrances, lorsque se trouvant dans des villages affamez, il se contentoit aussi bien que ces pauvres gens de ne manger que du gland, qu'ils ne luy donnoient qu'en petite quantité, n'en ayant pas assez pour eux-mesmes.

Le Baptesme de soixante enfans et de quelques adultes dans le bourg des Outagami, sont autant de traits merveilleux de la Providence; mais elle a paru encore plus visiblement dans la mort de deux adultes, d'une femme qui alla chercher en ce païs le Baptesme, et une heureuse mort entre les mains du Pere, apres bien des courses et des accidens, ayant esté prise icy par les Iroquois, et menée chez eux, et de là conduite à Montreal, d'où enfin elle retourna aux Outaoüacs pour y trouver son bonheur; et dans celle d'un vieillard, qui ne faisoit qu'attendre la venue du Pere pour mourir Chrestien; il estoit detenu sur sa pauvre natte d'une paralysie, avec des douleurs de nerfs si aiguës, qu'on ne pouvoit le remuer sans luy en causer d'insupportables; cependant il avoit soin de se faire porter la main presqu'à tous momens pour faire sur luy le signe de la Croix, nonobstant le grand mal que luy causoit ce mouvement, et il ne cessa point jusques au dernier soupir de baiser le Crucifix, et de luy adresser des paroles si tendres et si devotes, qu'on peut dire qu'il mourut dans les transports d'un parfait amant de Jesus-Christ.

Le signe de la Croix est en telle veneration parmy ces Peuples des Outagami, que le Pere a creue qu'il estoit temps d'en eslever une au milieu de leur bourgade, pour prendre possession de ces terres infideles, au nom de Jesus-Christ, dont il arboroit les armes plus avant dans l’empire du demon, qu'elles n'avoient jusques alors esté plantees. Et depuis ce temps-là l'on ne voit presque personne dans le bourg, soit des jeunes, soit des vieux, qui ne fasse le signe de la Croix avec respect; ils y ont mesme une telle confiance, que quelques jeunes soldats faisant un party pour aller en guerre contre les Nadoüessi, peuples qui se rendent redoutables à tous leurs voisins, et s'estant adressez au Pere pour sçavoir comment ils pourroient retourner victorieux, il leur raconta l'histoire de Constantin, et les encouragea à son exemple d'avoir recours à la Croix; ils le crurent, car d'eux mesmes ils marquerent sur leurs boucliers ce signe adorable; tous les matins et tous les soirs ils ne manquoient point de le faire sur eux, et ayant joint l'ennemy, la premiere chose qu'ils firent fust le signe de la Croix, et ensuite livrerent le combat avec tant de confiance, qu'ils remporterent heureusement la victoire; et estant de retour ils faisoient triomphe de la Croix, publiant par tout qu'ils luy estoient uniquement redevables d'un si bon succez. C'est ainsi que nostre sainte Foy va s'establissant parmy ces peuples, et nous esperons bien que dans peu de temps nous la porterons jusques à la fameuse riviere nommee Mississipi, et mesme peut estre jusques à la mer du Sud, afin que l'Evangile s'estende aussi loin vers le Midy, que nous allons voir qu'il a esté porté vers le Nord.

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Version en français contemporain

CHAPITRE V.

De la Mission de Saint-François-Xavier.

ARTICLE I.

Des avantages du lieu choisi pour bâtir la chapelle.


La baie communément appellée des puants, reçoit une rivière, dans laquelle on fait la pêche de gibier et de poisson tout ensemble. Les Sauvages en sont les inventeurs car s'étant aperçus que les canards, les sarcelles et les autres oiseaux de cette nature, vont chercher dans l'eau les grains de folle-avoine qui s'y trouvent l'automne. Ils leur tendent des filets si adroitement, que sans compter le poisson, ils y prennent quelquefois en une nuit jusqu'à cent pièces de gibier. Cette pêche n'est pas moins agréable qu'elle est utile car c'est un plaisir de voir dans un filet, quand on le tire de l'eau, un canard pris proche d'un brochet, et les carpes se brouiller dans les mêmes filets avec les sarcelles. Les Sauvages se nourrissent de cette manne pendant près de trois mois.

La nature et la nécessité qui leur ont enseigné cette sorte de pêche, leur ont donné aussi l'invention d'en faire une autre dans la même rivière, à deux lieues (environ 8 km.) de son embouchure.

C'est une machine un peu grossière, mais fort commode pour leur dessein, et qui fait qu'un enfant peut être excellent pêcheur. Ils la construisent de telle façon qu'ils barrent toute la rivière d'un bout à l'autre (1). C'est comme une palissade de pieux qu'ils plantent dans l'eau en ligne droite, ne laissant que l'espace nécessaire pour laisser couler les eaux au travers de certaines claies (treillis d'osier ou de bois) qui arrêtent le gros poisson. Le long de cette barrière, ils pratiquent des échafauds, sur lesquels ils se mettent en embuscade et y attendent leur proie avec impatience. Lorsque le poisson, suivant le fil de l'eau, arrive à cette barrière, alors le pêcheur enfonce un rets (filet) fait en forme de poche, dans lequel il fait aisément entrer les poissons.

Ces deux sortes de pêche attirent en cet endroit grand nombre de Sauvages de toutes parts. La situation du lieu n'y contribue pas peu, car sur le bord de cette rivière, vers l'endroit dont nous venons de parler, on voit une prairie de quatre à cinq arpents de large, terminée de chaque côté de grands arbres. Et outre les raisins, les prunes, les pommes et les autres fruits qui y seraient assez bons, si les Sauvages avaient la patience de les laisser mûrir, il se trouve encore dans les prairies une espèce de citrons, qui ont rapport à ceux de France, mais qui n'ont rien d'amer, non pas même dans leur écorce. La plante qui les porte tire un peu sur la fougère.

L'ours et le chat sauvage, qui est gros comme un chien d'une moyenne hauteur, remplissent le pays. Et comme le bois y est fort clair, l'on voit des grandes prairies dans les forêts, qui rendent ce séjour agréable. C'est à ces sortes d'animaux, aussi bien qu'au cerf (chevreuil), que la chasse se fait aisément, tant dans le bois qui n'est pas dense, que sur la rivière, dans laquelle il se jette souvent en courant, et où on va le prendre sans peine.

À tous les avantages de ce lieu, on peut ajouter qu'il est l'unique et le grand passage de toutes les nations circonvoisines qui ont un commerce continuel entre elles, ou de visite, ou de trafic. Et c'est ce qui nous a fait jeter les yeux sur cet endroit pour y placer notre chapelle, comme au centre de plus de dix nations différentes, qui nous peuvent fournir plus de quinze mille âmes pour être instruites des vérités du christianisme.

C'est là où le Père Claude Allouez et le Pere Louis André se sont arrêtés pour travailler au salut de tous ces peuples. Et pour le faire plus commodément, ils se sont partagés, l'un s'appliquant aux nations qui sont plus reculées dans les bois, et l'autre à celles qui sont sur le bord de la Baie-des-Puants (maintenant Green-Bay. Green Bay est une ville de 102 313 habitants située dans l'État du Wisconsin).

Article II.

Des peuples qui habitent dans la Baie-des-Puants, et de leurs fausses divinités.

Quatre peuples différents sont placés vers le fond de la baie, et y vivent en partie de ce qu'ils recueillent de la terre, et en partie de la pêche et de la chasse. Deux autres un peu plus éloignés font leur demeure ordinaire sur les rivières qui se déchargent dans cette même baie, du côté nord; et tous reconnaissent diverses sortes de divinités auxquelles ils font souvent des sacrifices. Ces peuples ont des dieux, comme avaient autrefois les païens. Ils en ont dans le ciel, dans l'air, sur la terre, dans les bois, dans les eaux, et même dans l'enfer. Et comme il s'est trouvé des théologiens qui mettaient des intelligences particulières, non seulement dans les astres, mais encore sur la terre pour la conservation de chaque espèce de toutes choses. Ainsi ceux de nos Sauvages qui passent pour intelligents parmi eux, ont cette croyance, qu'outre le soleil et le tonnerre qu'ils reconnaissent pour les dieux du ciel et de l'air, chaque espèce de bêtes, de poissons et d'oiseaux, a un génie particulier, qui en a soin, qui veille à sa conservation, et qui la défend du mal qu'on lui pourrait faire.

C'est pour cela, que comme les Égyptiens mettaient sur les autels les rats et les souris (2), ainsi ces peuples ont une considération particulière pour ces animaux, comme il parut dans une souris que nous avions prise et jetée dehors car une fille s'en étant saisie, et ayant envie de la manger, son père prit auparavant cette souris, et lui fit mille caresses. Nous lui demandâmes pourquoi il agissait ainsi? «C'est, dit-il, que je veux apaiser le génie qui a soin des souris, afin qu'un mets si extraordinaire ne cause du dommage à ma fille

Il y a certains animaux aux génies desquels ils rendent beaucoup plus de respect qu'aux autres parce qu'ils leur sont plus utiles. On ne saurait croire la vénération qu'ils ont pour l'ours, car quand ils en ont tué un à la chasse, ils en font d'ordinaire un festin solennel avec des cérémonies fort particulières. Ils conservent précieusement la tête de cet animal, ils la peignent des plus belles couleurs qu'ils peuvent trouver, et pendant le festin ils la placent dans un lieu éminent, afin qu'elle y reçoive les adorations de tous les convives, et les louanges qu'ils lui donnent les uns après les autres par leurs plus belles chansons.

Ils font quelque chose de semblable à l'égard des autres divinités, mais pour se les rendre favorables, ils pratiquent diverses sortes de dévotions, dont voici la plus ordinaire et la plus considérable. Ils demeurent quatre ou cinq jours sans manger afin qu'ayant par cette diète la tête affaiblie, ils puissent voir en songe quelqu'une de ces divinités, de laquelle ils croient que dépend toute leur bonne fortune. Et parce qu'ils croient qu'ils ne peuvent être heureux à la chasse du cerf, ou de l'ours s'ils ne les ont pas vus auparavant en songe, avant d'aller chercher des bêtes, tout leur soin est d'avoir en dormant la vue de celle qu’ils veulent.

C'est pour cela qu'ils se préparent à leurs chasses par de grands jeûnes qu'ils prolongent même quelquefois jusqu'à dix jours, ce que font plus ordinairement ceux de la nation des Outagami (3). Ils font bien plus, parce que pendant que les hommes sont à la chasse on oblige les petits enfants de jeûner, afin de pouvoir rêver à l'ours que leurs parents vont chercher, et ils s'imaginent que la bête sera prise si elle est une fois vue en songe, même par ces enfants.

Ils ont quantité d'autres superstitions qu'il serait ennuyeux de rapporter ici, mais qui donnent bien du mal à un missionnaire qui a tous ces monstres à combattre en même temps. C'est ce que le Père André a expérimenté. Nous allons dire quelque chose des travaux qu'il a soufferts pour désabuser ces pauvres peuples.

ARTICLE III.

De la mission faite aux peuples de la Baie-des-Puants.

Le Père les avait déjà fortement attaqués sur leurs vices, et particulièrement sur leurs superstitions pendant quelques mois qu'il avait passés l'été dernier avec eux. Mais y voulant employer tout l'hiver, il se mit en chemin le 13 décembre, pour s'y rendre par des routes également rudes et dangereuses, car s'étant engagé sur les glaces de la baie, et voulant couper de pointe en pointe pour se faciliter le chemin et l'abréger, il trouva sur le soir, quand il voulut gagner terre, que le passage en était fermé par des montagnes de glaces entassées les unes sur les autres, qui faisaient comme un rempart qu'il était impossible de percer. Cependant le soleil se coucha avant qu'il puisse trouver d'issue. Le Père avait déjà jeté les yeux sur quelque amas de glaçons au milieu desquels il avait l’intention de passer la nuit à l'abri de ces montagnes de glaces. Mais il fut bien inspiré de ne pas s’arrêter là davantage, car cet amas de glaçons dès la nuit même, fut enlevé par les vents. Il trouva une retraite plus sécuritaire sur une pointe de terre qui avance sur ce lac, et il y demeura avec ses compagnons, véritablement sans danger d'y périr, mais non pas sans y souffrir les rigueurs d'un froid très rude. Cependant il fallut garder ce poste si incommode pendant trois jours, après lesquels un vent sec et froid qui souffle du nord ou du nord-est ayant succédé à la pluie, ne fit de tout le lac qu'une glace si unie, qu'il était très difficile de marcher sans tomber presque à chaque pas. Pour se délivrer d'un chemin si importun, il se jeta dans un autre et plus fâcheux et plus dangereux, car ayant pris sa route le long du bois, et s'étant engagé dans un pays embarrassé de cèdres et de sapins, où les glaces n'étaient pas assez fortes pour le porter, il enfonçait à tout moment. Il se trouva même engagé au milieu de quantité de trous, qui s'étaient faits dans la glace, de sorte qu'il lui fut bien difficile de n'y pas demeurer. Il échappa néanmoins, se traînant au milieu de ces précipices, et continua sa route avec les mêmes périls et les mêmes fatigues, jusqu'à ce qu'il se rendît au lieu où étaient les Sauvages, dont un des principaux, pour le bien régaler après tant de peine, lui fit offre d'un sac plein de glands, qui n'était pas à refuser, car ce n'est pas là un petit présent parmi ces peuples qui n'ont point pendant l'hiver de mets plus délicieux, quand la chasse ou la pêche ne réussissent pas.

La première application du Père, fut à visiter toutes les cabanes, à enseigner les enfants, et à expliquer partout les mystères de notre religion. Les jours étaient trop courts pour contenter la sainte curiosité de tout ce peuple qui ne lui donnait pas même le loisir de prendre ses repas que bien tard, ni de satisfaire à ses dévotions que dans quelque lieu écarté, où l'on ne laissait pas de l'aller trouver.

La cause pour laquelle on le recherchait avec tant d'empressement, étaient certains Cantiques spirituels, qu'il faisait chanter aux enfants sur des airs français, qui plaisaient extrêmement à ces Sauvages, de sorte que et dans les rues et dans les cabanes, nos mystères se publiaient et y étaient reçus avec applaudissement, et s'imprimaient sans s'en rendre compte par ces cantiques, dans les esprits.

Ce succès donna du courage au Père, et lui fit prendre la résolution d'attaquer les hommes par les enfants, et de combattre l'idolâtrie par des âmes bien innocentes. En effet, il composa des cantiques contre les superstitions, dont nous avons parlé, et contre les vices les plus opposés au christianisme, et les ayant enseignés aux enfants au son d'une flûte douce, il allait partout avec ces petits musiciens Sauvages, déclarer la guerre aux jongleurs, aux rêveurs, et à ceux qui avaient plusieurs femmes. Et parce que les Sauvages aiment passionnément leurs enfants, et tolèrent tout d’eux, ils acceptaient les reproches, quoique sévères, qui leur étaient faits par ces cantiques, d'autant qu'ils sortaient de la bouche de leurs enfants.

Il arrivait quelquefois que comme le Père était obligé de réfuter dans l’ardeur du débat les erreurs de ces superstitieux, et convaincre les vieillards des faussetés et de l’absurdité de leur idolâtrie, il arrivait, dis-je, que cette troupe d'enfants, se lassant d'entendre tant disputer, se lancaient comme sans réfléchir, et entonnant leurs cantiques, obligeaient leurs parents à se taire. Ce qui donnait bien de la joie au Père, qui voyait que Dieu se servait de ces bouches innocentes pour confondre l'impiété de leurs propres parents.

Outre ces exercices de piété qui se faisaient dans le bourg, le Père assemblait les Sauvages dans sa petite chapelle, où il avait trois grandes images propres pour l'instruction de ces peuples, l'une du jugement universel, au haut de laquelle les parents étaient bien aises qu'on leur fit remarquer la place que tiendraient leurs enfants baptisés, et au bas, ils voyaient avec horreur les tourments que le diable y endure.

Dans la seconde image, sont dépeints douze emblèmes, dont chacun contient un article du symbole des Apôtres. La troisiéme faisait voir Jésus mourant en Croix. L’ardeur de venir prier Dieu devant ces images et d'y recevoir les instructions était telle, que plusieurs enfants y venaient pieds nus sur la neige pendant près d'un quart de lieue (environ 1 km.) de chemin qu'il y avait à faire.

C'est dans ces besognes que le Père passa tout l'hiver, parcourant les bourgs les uns après les autres, et y mettant une sainte émulation à qui saurait mieux les cantiques spirituels, et à qui aurait plus d'enfants baptisés et de plus savants en nos mystères.

Il ne faut pas pourtant qu'on se persuade qu'on puisse condamner les vices des jeunes gens, décrier les sorciers, blâmer les festins superstitieux, et combattre à guerre ouverte l'idolâtrie, sans recevoir de temps en temps des affronts, parmi des gens qui n'ont ni lois, ni police, ni magistrats qui empêchenl les désordres. Le diable prend trop d'intérêt à maintenir son royaume pour ne pas susciter des persécuteurs contre ceux qui le détruisent. Mais ces croix sont les délices des missionnaires qui n'ont point de plus grand désir que de mêler leur sang à leurs sueurs. Le Père n'a pas été privé de ces faveurs parmi ses travaux apostoliques, pendant lesquels il n'a pas laissé de faire quelques remarques curieuses sur les marées de la Baie-des-Puants (maintenant Green-Bay), où il a passé une bonne partie de l'année.

ARTICLE IV.

Marée de la Baie des Puants.

Voici ce que le Père en écrit. «Je n'avais pas été jusqu'à présent de ceux qui croient que le lac Huron était sujet au flux et reflux aussi bien que la mer, parce que je n'avais remarqué rien de bien réglé pendant le temps que j'ai demeuré sur les bords de ce lac. Mais je commençai à douter qu'il n'y eut en effet de marée dans la Baie-des-Puants, après avoir passé la rivière qu'on nomme de la Folle-Avoine. Nous avions laissé notre canot à l'eau dans un temps fort calme, et le lendemain matin, nous fûmes bien surpris de le voir à sec. J'en fus plus étonné que les autres, parce que je considérais que depuis longtemps le lac était parfaitement calme. Dès lors je pris la résolution d'étudier cette marée, et d'abord après avoir réfléchi que le vent contraire, mais fort modéré, n'empêchait pas le flux et reflux selon son cours, je reconnus aussi, que dans la rivière qui se décharge au fond de la baie, la marée monte et descend deux fois dans un peu plus de 24 heures. D'ordinaire elle monte d'un pied, et la plus haute marée que j'ai vue a fait croître la rivière de trois pieds, mais elle était aidée d'un vent violent du nord-est. Si le suroît n'est pas bien fort, il n'empêche pas le cours de la rivière, de sorte que pour l'ordinaire, le milieu coule toujours en bas vers le lac, quoique l'eau remonte de chaque extrémité, selon les temps réglés de la marée. Comme il n'y a que deux vents qui règnent dans cette rivière et sur le lac, on pourrait aisément leur attribuer la cause de ces marées, si elles ne suivaient pas le cours de la lune, de quoi cependant on ne peut pas douter, puisque j'ai découvert manifestement qu'en pleine lune les marées sont plus hautes, qu'elles retardent ensuite, et qu'elles diminuent toujours à mesure que la lune décroît. Il ne faut pas s'étonner que ce flux et reflux soit plus sensible dans le fond de la baie que dans le lac Huron, ou en celui des Illinois, car quand la marée ne croîtrait que d'un pouce dans ces lacs, elle devrait être bien remarquable dans la baie, qui a environ 15 ou 20 lieues (entre 60 et 80 km.) de long, et cinq ou six (20 ou 24 km.) de larges, ou plus, en son commencement, et va toujours se rétrécissant. Ce qui fait que l'eau étant réduite au fond de la baie dans un petit espace, y doit par nécessité beaucoup plus monter que dans le lac, où elle est plus au large.»

ARTICLE V.

Mission du Père Claude Allouez aux Maskoutench (nation du feu), aux Outagami ou renards, et autres peuples vers le sud.


Il faudrait presque autant de temps pour suivre ici le Père Claude Allouez, en racontant ses courses apostoliques, qu'il en mit à les faire, parce qu'il n'a été en aucune nation où il n'ait fait des choses pour la gloire de Dieu, qui seraient bien longues à rapporter.

On pourrait compter les travaux du Père par les baptêmes qu'il a faits, et ces baptêmes par les dispositions admirables de la Providence, qui ont éclaté pour le salut de ces Sauvages.

C'est ce qu'il sera aisé de reconnaître par le peu que nous allons dire des peines presque incroyables qu'il a prises, pour enseigner à des peuples de cinq langues différentes, dont quelques-uns qui viennent tout récemment des quartiers du Sud-Ouest, n'avaient jamais entendu parler de la Foi.

Le Père arrivant à la Baie-des-Puants (maintenant Green-Bay ou Baie Verte), après plus de cent lieues (400 km.) de navigation, ne fut pas aussitôt débarqué, qu'il trouva un nouveau-né, et qui était prêt de mourir. Il le baptise, et l'envoie en même temps au Ciel.

Il baptisa au même endroit et en même temps un vieillard malade, mais qui ayant survécu à son baptême, n'a pas encore pu obtenir après plus de soixante années, ce que l'enfant avait eu après un quart d’heure de vie, (c‘est à dire: aller au Ciel.)

Voyons deux autres traits de la Providence. Le bon accueil qu'on fit au Père chez les Maskoutench, lui donna l’occasion de conférer deux baptêmes, et le mauvais traitement qu'il reçut sur le chemin des Outagami lui en valut deux aussi.

Il trouva dans cette bourgade des Maskoutench, qui est la nation du feu, trois peuples de langues différentes. Il y fut reçu comme un ange venu du Ciel, particulièrement de ceux qui étant arrivés de nouveau des quartiers du Sud, n'avaient jamais eu connaissance d'aucun Français. Ils ne pouvaient se rassasier de le voir. Les jours étaient trop courts pour l'entendre parler de nos mystères. Il fallait y employer les nuits entières. Un si favorable accueil arrêta bien volontiers le Père, et lui donna lieu de baptiser deux malades. Une femme malade, qu'il fit chrétienne sur le chemin des Outagami, lui coûta de grandes fatigues. Il fallut qu'il l'allât chercher dans un bois, où s'étant égaré, il fut contraint de coucher sous un arbre, et de passer la nuit sans feu au milieu des neiges.

Il lui fallut encore acheter d'autres baptêmes par de plus grandes souffrances, lorsque se trouvant dans des villages affamés, il se contentait aussi bien que ces pauvres gens de ne manger que du gland, qu'ils ne lui donnaient qu'en petite quantité, n'en ayant pas assez pour eux-mêmes.

Le baptême de soixante enfants et de quelques adultes dans le bourg des Outagami, sont autant de traits merveilleux de la Providence. Mais elle a paru encore plus visiblement dans la mort de deux adultes, d'une femme qui alla chercher en ce pays le baptême, et une heureuse mort entre les mains du Père, après bien des courses et des accidents, ayant été prise ici par les Iroquois, et amenée chez eux, et de là conduite à Montréal, d'où enfin elle retourna aux Outaouais pour y trouver son bonheur, et dans celle d'un vieillard qui ne faisait qu'attendre la venue du Père pour mourir en chrétien. Il était détenu sur sa pauvre natte (tissu de paille ou de jonc tressé) d'une paralysie, avec des douleurs de nerfs si aiguës, qu'on ne pouvait le remuer sans lui en causer d'insupportables. Cependant il avait soin de se faire porter la main presque à tous moments pour faire sur lui le signe de la Croix, nonobstant le grand mal que lui causait ce mouvement. Et il ne cessa point jusqu'au dernier soupir de baiser le Crucifix, et de lui adresser des paroles si tendres et si dévotes, qu'on peut dire qu'il mourut dans les élans d'un parfait amant de Jésus-Christ.

Le signe de la Croix est en telle vénération parmi ces peuples des Outagami, que le Père a crû qu'il était temps d'en élever une au milieu de leur bourgade, pour prendre possession de ces terres infidèles, au nom de Jésus-Christ, dont il arborait les armes plus avant dans l’empire du démon, qu'elles n'avaient jusqu'alors été plantées. Et depuis ce temps-là l'on ne voit presque personne dans le bourg, soit des jeunes, soit des vieux, qui ne fasse le signe de la Croix avec respect. Ils y ont même une telle confiance, que quelques jeunes guerriers s’attroupant pour aller en guerre contre les Nadouessi (Sioux), peuples qui se rendent redoutables à tous leurs voisins, et s'étant adressés au Père pour savoir comment ils pourraient retourner victorieux, il leur raconta l'histoire de Constantin, et les encouragea à son exemple d'avoir recours à la Croix. Ils le crurent, car d'eux-mêmes ils marquèrent sur leurs boucliers ce signe adorable. Tous les matins et tous les soirs ils ne manquaient point de le faire sur eux, et ayant rencontré l'ennemi, la première chose qu'ils firent fut le signe de la Croix, et ensuite livrèrent le combat avec tant de confiance, qu'ils remportèrent heureusement la victoire. Et étant de retour, ils faisaient triomphe de la Croix, publiant partout qu'ils lui étaient uniquement redevables d'un si bon succès. C'est ainsi que notre sainte Foi va s'établissant parmi ces peuples, et nous espérons bien que dans peu de temps nous la porterons jusqu'à la fameuse rivière nommée Mississippi, et même peut-être jusqu'à la mer du Sud, afin que l'Évangile s'étende aussi loin vers le midi, que nous allons voir qu'il a été porté vers le nord.

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Notes:

(1) Les Sauvages de la rivière Restigouche ont déjà étendu un filet d'un bord à l'utre dans la rivière au printemps, quand les saumons montent s'y reproduire. C'est peut-être un moyen efficace, mais il est très destructeur. Les saumons qu'ils ne pouvaient vendre se retrouvaient aux ordures. Quand ils entrent dans la forêt, ils agissent souvent de même en ce qui concerne les arbres. Quand les belougas entrent dans une baie, l'eau deveint rouge sang. Ils ont le droit de pêcher et de chasser à l'année longue. Pour eux, les gardes-chasses et gardes-pêche n'existent pas. Les autres braconniers subissent les foudres de la justice. Les policiers vont saisir et la chasse et lapêche, avec tout ce qui sert à braconner. Ceux qui pensent que les Sauvages sont les gareiens de la nautre rêvent en couleur et ils devraient se réveiler, surtout les Européens, surtout les Français et les émules de Brigitte Bardot et de Paul McCartney, qui sont très mal informés et qui veulent donner des leçons aux autres.

En ce qui concerne les orignaux, les Sauvages ne gardent que le quartier arrière de la bête. Le reste va aux ordures.

Ils ne payent ni impôts ni taxes, sur les réserves comme à l’extérieur des réserves. Ils sont soignés et éduqués aux frais des contribuables. Leur histoire de droits ancestraux ne tient pas la route. Quand ils voulaient un territoire, ils ne se demandaient pas si les habitants y habitaient depuis des lustres. Ils massacraient tout ce qui se trouvaient sans sourciller. Aussi, ils sont plus nombreux maintenant qu’à la découverte de l’Amérique. La chasse et la pêche à l’année longue ne peuvent pas être autorisées. Maintenant ils réclament d’autres droits qui n’ont rjen à voir avec cet ancien mode de vie dépassé.

(2) Les souris sont porteuses de parasites. Elles peuvent aussi avoir une maladie appelée «fièvre par morsure de rat» ou «sodoku», qui se transmet par morsure ou les fluuides corporels. Si sa fille l'a mangée, elle risquait d'être malade. Ils risquaient aussi de se faire mordre par la souris.

(3) Outagami ou renards, nation vivant à l'ouest du lac Michigan. En 1712, à l'instigation des Anglais, ils attaquent le poste français de Détroit. Les Outaouais et les Illinois viennent prêter main-forte aux quelques Français qui défendent le fort. Les ennemis sont repoussés. On les attaque ensuite chez eux. Ils demandent quartier, mais les Sauvages alliés refusent toute composition. Tous les guerriers Outagamis sont massacrés et le reste de la population trainé en esclavage. Les malheureux Sauvages ont perdu plus de 2 000 des leurs.

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