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Les Relations des Jésuites contiennent 6 tomes et défont le mythe du bon Sauvage de Jean-Jacques Rousseau, et aussi des légendes indiennes pour réclamer des territoires, ainsi que la fameuse «spiritualité amérindienne».

vendredi, juin 18, 2010

IV. page 39

De la Mission du S. Esprit, à l'extremité du Lac Superieur


Ces quartiers du Nord ont leurs Iroquois aussi bien que ceux du Sud. Ce sont certains peuples qu'on nomme les Nadouessi, qui se sont rendus redoutables à tous leurs voisins, parce qu'ils sont naturellement belliqueux; et quoy qu'ils ne se servent que de l'arc el de la fléche, ils en usent neantmoins avec tant d'adresse et avec tant de promptitude, qu'en un moment ils remplissent l'air, sur tout quand, à la façon des Parthes, ils tournent visage en fuyant: car c'est pour lors qu'ils décochent leurs fléches si prestement, qu'ils ne sont pas moins à craindre dans leur fuite que dans leurs attaques.

Ils habitent sur les rivages et aux environs de cette grande riviere appellée Mississipi, de laquelle il sera parlé. Ils ne font pas moins de quinze Bourgaùes assez peuplées, ct cependant ils ne sçavent ce que c'est de cultiver la terre pour l'ensemencer, se contentant d'une beaucoup "aequcr à la conversion des 'Cspece de seigle de marais, que nous nommons folle avoine, que leur fournissent naturellement les prairies, qu'ils partagent entr'eux, pour y faire la recoite chacun à part, sans empieter les uns sur les autres.

C'cst à soixante lieuës de l'extremité du Lac Superieur, vers le Soleil Couchant, et comme au centre des Nations qu'ils ont toutes sur les bras par une Ligue generale qui s'est faite contre eux, comme contre l'ennemy commun.

Ils parlent une Langue toute particuliere et entierement distincte de celle des Algonquins et des Hurons, qu'ils surpassent de beaucoup en generosité, puis qu'ils se contentent souvent de la gloire d'avoir emporté la victoire, et renvoyent libres les prisonniers qu'ils font dans le combat, sans les avoir endommagez.

Nos Outaoüacs et nos Hurons de la pointe du Saint Esprit avoient jusqu'à present entretenu une espece de paix avec eux; mais les affaires s'estant broüillées pendant l'hyver dernier, et mesme quelques meurtres ayant esté commis de part et d'autre, nos Sauvages eurent sujet d'apprehender que l'orage ne vint crever sur eux, et jugerent qu'il leur estoit plus seur de quitter la place, ~ont certains peuples qu'on nomme les comme ils tirent de fait dés le Printemps qu'ils se retirerent dans le Lac des Hurons, les Outaoüacs en l'Isle d'Ekaentouton, avec ceux de leur Nation, qui dés l'an passé y avoient pris le devant, et où nous avons en suite étably la Mission de saint Simon; et les Hurons en cette Isle fameuse de Missilimakinac, où nous avons commencé l'Hyver dernier la Mission de saint Ignace.

Et comme dans ces sortes de transmigrations, les esprits ne sont pas assez rassis, aussi le Pere Marquette qui a eu soin de cette Mission du saint Esprit, y a eu plus à souffrir, qu'à faire pour la conversion de ces peuples; car outre quelques enfans qu'il a baptisez, les malades qn'il a consolez, et les instructions qu'il a continuées à ceux qui font profession du Christianisme, il n'a pas pu beaucoup vacqucr à la conversion des autres, ayant esté obligé aussi bien qu'eux de quiller ce poste pour suivrc son troupeau, subir les mesmes fatigues et encourir les mesmes dangers.

C'est pour se rendre en cette terre de Missilimakinac, où ils ont déja demeuré autrefois, et qu'ils ont sujet de preferer à beaucoup d'autres, à cause des avantages que nous en avons rapportez au Chapitre precedent, et en outre, parce que ce climat est ce semble tout differcnt de celuy des autres circonvoisins, car l'Hyver y est assez court, n'ayant commencé que long-temps apres Noël, et finy vers la my-Mars, auquel temps nous avons veu icy renaistre le Printemps.

Il commença par un Parelie, qui sembloit en estre le presage, et qui ayant paru icy et ailleurs avec des circonstances curieuses, merite qu'on en parle en particulier.




Descnptton de divers Parelies, qui ont paru cét Hyver en ces quartiers.

Le vingt-uniesme Janyier i671. fut veu le premier Parelie dans la Baye des Puans, une ou deux heures avant Soleil couché, on voyoit en haut un grand Croissant, dont les cornes regardoient le Ciel, et aux deux costez du Soleil, deux autres Soleils, également distans du vray Soleil, qui tenoit le milieu. Il est vray qu'on ne les découvroit pas entierement, parce qu'ils estoient couverts, partie d'un nuage de couleur d'arc en Ciel, partie d'une grande lueur blanche, qui empeschoit l'œil de les bien distinguer. Les Sauvages voyant cela, dirent que c'estoit signe d'un grand froid, qui de fait fut tres-violent les jours suivans.

Le seiziesme de Mars de la mesme année, se fit voir le mesme Parelie, en trois endroits differents les uns des autres, de plus de cinquante lieuës.

Il fut donc veu en la Mission de saint Ignace à Missilimakinac, où parurent trois Soleils, distans les uns des autres comme d'une demie lieuë en apparence; en voicy trois circonstances que nous avons remarquées. La premiere est, qu'ils se firent voir deux fois le mesme jour, sçavoir le matin, une heure aprés le Soleil lcvé, et le soir une heure avant son couché. La seconde est, que celuy des trois, qui le matin estoit du costé du Midy, le soir, se trouva du costé du Septentrion; et en outre, celuy, qui le matin esloit ùu costé du Scptentrion, se voyoit plus bas que celuy du milieu, et le soir, ayant changé de situation ct pris le costé du Midy, s'estoit placé plus haut que le vray Soleil. La troisiesme circonstance est touchant la figure des deux faux Soleils; car celuy qui estoit du costé du Midy, se voyoit si bien formé, qu'à peine le pouvoit-on distinguer du vray, sinon qu'il paraissoit orné d'une bande d'écarlate du costé qu'il regardoit le vray Soleil; mais l'autre qui tenoit la gauche, avoit beaucoup plus de l'apparence d'un Iris en ovale que d'un Soleil; neantmoins on voyoit bien que c'en estoit une image, en laquelle le Peintre n'avoit pas assez bien reussi, quoy qu'il fût couronné comme d'un filet d'or qui luy donnoit fort bonne grace.

Ce mesme Parelie fut veu le mesme jour en l'Isle d'Ekaentouton, dans le Lac des Hurons, à plus de quarante lieuës de Missilimakinac: voicy ce qu'on en a remarqué de curieux à sçavoir. Trois Soleils parurent en mesme temps du costé du Couchant; ils estoient parallelles à la terre et égaux en grosseur, mais non pas en beauté. Le veritable Soleil estoit à l'Oüest Sur-Oüest, et les deux faux, l'un à l'Oüest, l'autre au Sur­Oüest. On vit en mesme temps' deux parties de cercles parallelles à l'horizon, tenant beaucoup des couleurs de l'arc­en-Ciel; le bleu estoit en dedans, la couleur d'aurore au milieu, et le gris obscur, ou cendré, cstoit à l'exterieur. De plus un quarl de cercle perpendiculaire à l'horizon, presque de mesme couleur, touchoit le faux Soleil, qui estoit au Sur-Oüest, et coupant le demy cercle parallelle à l'horizon, se confondoit et se perdoit dans cette rencontre, où le faux Soleil paroissoit. Le Ciel n'étoit pas si net du costé des Soleils que par tout ailleurs, où l'on ne yoyoit aucune nuée, mais seulement l'air mediocrement serein. On découvroit nettement la Lune, et s'il eust esté nuit, les étoiles auroient aisément paru. L'air pouvoit souslenir les faux Soleils durant un temps assez notable,·mais non pas le veritable. Ces trois Soleils ensemble ne faisoient pas tant de lumiere, que le vray Soleil en fait quand le Ciel est bien pur. Il y avoit apparence de vent en l'air, parce que les faux Soleils disparoissoient de temps en temps, et mesme le veritable, au dessus duquel enfin, fut veu un quatriesme Soleil posé en ligne droite, et en mesme distance que paroissoient les deux autres qui tenoient les deux costez. Ce troisiesme faux Soleil dura fort peu de temps, mais les deux demy cercles dont nous avons parlé, ne s'évanoüirent pas si tost, et lors que tous les faux Soleils cesserent de paroistre, ils laisserent aprés eux deux arcs-en-Ciel, comme de beaux restes de leurs lumieres. Les Sauvages qui tiennent toutes ces choses extraordinaires pour des Genies, et qui estiment que ces Genies sont mariez, demandoient au Pere qui les instruisait, si ce n'estait pas les femmes du Soleil qu'il considerait si curieusement: il leur dit que celuy qui a tout fait voulait les instruire sur le Mystere de la Sainte Trinité, et les desabuser par le Soleil mesme qu'ils adoraient. De fait le lendemain de ce Parelie, les femmes, qui ne voulaient pas entendre parler de la priere, presenterent leurs enfans pour estre baptisez.

Enfin ce mesme Phenomene s'est aussi fait voir le mesme jour au Sault, mais d'une façon bien ditferente et plus admirable, parce qu'outre les trois Soleils qui parurent le matin, on en vit huit tous ensemble un peu aprés midy. Voicy comme ils estaient rangez: le vray Soleil estait couronné d'un cercle formé des couleurs de l'arc-en-Ciel, dont il estait le centre; il avait à ses deux costez deux Soleils contrefaits, et deux autres, l'un comme sur sa teste, et l'autre comme à ses pieds: ces quatre derniers estaient placez sur la circonference de ce cercle en égale distance, et directement opposez les uns aux autres. De plus on voyait un autre cercle de mesme couleur que le premier, mais beaucoup plus grand, qui passait par en haut par le centre du vray Soleil, et avait le bas et les deux costez chargez de trois Soleils apparens, et tous ces huit luminaires faisoient ensemble un spectacle tres-agreable aux yeux, comme on en peut juger par la figure qui la represente.

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