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Les Relations des Jésuites contiennent 6 tomes et défont le mythe du bon Sauvage de Jean-Jacques Rousseau, et aussi des légendes indiennes pour réclamer des territoires, ainsi que la fameuse «spiritualité amérindienne».

jeudi, juin 17, 2010

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De la Mission des Outuoüacs.

Plus de trois cens Baptesmes conferez depuis un an, plus de vingt-cinq Nations éclairées des lumieres de l'Evangile, un bon nombre de malades restablis en santé d'une façon tres-extraordinaire, des Eglises dressées et des Croix plantées au milieu de l'idolatrie, la Foy portée bien loin vers le Nord et vers le Midy, donnent sujet de louer Dieu des benedictions qu'il continue de verser abondamment sur les Missions des Outaoüacs.

L'an passé, l'on donna au public la Carte des Lacs et des Terres, sur lesquelles ces Missions sont placées; nous avons jugé à propos de la faire encore paroistre cette année, pour contenter la curiosité de ceux qui ne l'ont pas veuë, et pour distinguer quelques nouvelles Missions, qui sont establies depuis peu en ce païs-là, comme entr'autres celle de S. François Xavier, placée tout de nouveau sur la riviere qui se décharge dans la baye des Puans, à deux lieues de son emboucheure, et celle de la Mission des Apostres, sur les costes du Nord du Lac Huron. Le Pere Henry Nouvel, qui est Superieur de toutes ces Missions des Outaoüacs, a eu soin de celle-cy en particulier, et nous décrit ce qui s'y est passé en ces termes.

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CHAPITRE II.

De la Mission des Apostres dans le Lac des Hurons.

Je partis de sainte Marie du Sault, dit le Pere, le 26. Octobre 1671. pour aller prendre mon quartier d'Hyver chez les Amikoüés, où je n'arrivay qu'aprés 18. jours de marche; j'eus la consolation en chemin de baptiser 4. petits enfans, et d'instruire leurs parens, qui m'escouterent bien volontiers.

Le mauvais temps et les vents contraires nous ayant obligez de nous refugier dans diverses Isles, je ne pus me rendre à celle d'Ekaentouton, que le 6. de Novembre. J'y fis une Mission en passant, et y baptisay sept enfans; c'est là que je vis ce bon Sauvage nommé Louis, qui peut passer pour le miracle de ce Christianisme; car ce n'est pas une petite merveille de voir un barbare, qui depuis plusieurs années demeure ferme dans la resolution qu'il a prise de passer le reste de ses jours dans le Celibat, n'ayant que cette veuë de se rendre plus agreable à Dieu, par ce genre de vie, qui est inoüy parmy les Sauvages. J'ay esté ravy de voir le respect que les jeunes gens de sa Nation ont pour luy, et le soin qu'il prend de disposer un esclave à recevoir le Baptesme au Printemps prochain. Aprés luy avoir donné la sainte Communion, je l'ay laissé plein de confiance et de resolution pour perseverer, s'appuyant sur les forces que luy donne le Sacrement de Confirmation, qu'il a receu des mains de Monseigneur nostre Evesque.

Estant party d'Ekaentouton le 8. Novembre, et ayant esté arresté 2. jours sur une pointe de rocher par les vents contraires, enfin je me rendis au lieu où je devois passer l'Hyver avec les Amikoüés, qui sont les Sauvages appellez la Nation du Castor. Je donnay commencement à cette Mission par le Baptesme de 14. petits enfans, le jour de la Presentation de la sainte Vierge, à laquelle je presentay ces premiers fruits de ma Mission.

Nostre petite Chapelle fut bien-tost dressée, et en suite comme consacrée par le Baptesme d'une pauvre vieille, à qui la santé du corps fut rendue avec la vie de l'ame, par les merites de la sainte Vierge et de saint François Xavier, à qui elle s'estoit recommandée.

Peu aprés, cinq petits enfans receurent dans le mesme lieu le saint Baptesme, avec toutes les ceremonies de l'Eglise.

Le Diable, envieux du bien que cette Mission commençoit de faire, et de l'honneur que j'avois fait rendre à Jesus-Christ par nos Sauvages la nuit de Noël, s'efforça d'en troubler la solennité par des ceremonies superstitieuses, que nous appellons jongleries, dont ces barbares se servent pour rendre la santé aux malades. Un de nos bons Chrestiens estant reduit à l'extremité par une tres-dangereuse maladie, les infideles s'assemblerent en grand nombre dans sa cabane, et employerent tout ce qu'ils sçavoient de superstitions pour le rétablir en santé. J'en eus nouvelles, et aussi-tost je me transportay dans cette cabane, où je trouvay tout ce monde bien occupé à cette impieté; je m'approche du malade, je le reconcilie à Dieu au milieu de cette foule, par le Sacrement de Penitence, et demeure toujours auprés de luy, dans la resolution de tout souffrir plustost que de permettre qu'on enlevast la brebis d'entre les bras de son Pasteur. Ces barbares, voyant leurs Jongleries interrompues, se faschent, me menacent et me commandent arrogamment de sortir, pour leur laisser achever ce qu'ils avoient commencé; je tins ferme, et leur dis que ce malade m'appartenoit parce qu'il estoit Chrestien, et que je ne l'abandonnerois jamais. Un de ces furieux, plus insolent que les autres, voulut user de la force pour me mettre dehors, je resistay; les autres se joignent à luy, et m'entrainent avec violence; et comme la fureur estoit jointe à la force, ils ne purent pas me mettre hors de la cabane sans me laisser sur le visage des marques de leur colere. J'estois plus ravy de porter ces playes, que s'ils m'eussent donné un empire, et la satisfaction qu'ils me firent par aprés en reconnoissant leur faute, et m'en demandant pardon, ne me fut pas si agreable que les coups que j'avois receus, me souvenant de la joye qu'avoient les Apostres quand ils estoient trouvez dignes de souffrir des ignominies pour le nom de Jesus-Christ. Le succez que Dieu me donna sur un

Jongleur fut encore plus éclatant; je l'allois attaquer de nuit, lors qu'il se mettoit en devoir de pratiquer ses superstitions, pour deviner quelle estoit la cause de la mort de deux enfans décedez peu auparavant: car tant s'en faut qu'il y pust reüssir, qu'au contraire, l'auteur de cette Jonglerie, ayant veu sa femme tomber malade, et s'estant estonné que Dieu luy eust rendu soudainement la santé par le moyen de la priere, reconnut sa faute, et fit luy mesme une belle et grande Croix, par l'ordre que je luy en donnay, que nous élevâmes avec grande ceremonie, pour estre desormais l'objet de la veneration de ces Peuples, et pour augmenter le triomphe de la Croix sur l'idolatrie. Je baptisay en mesme temps cette vieille femme, à qui Dieu avoit rendu la santé par les intercessions de saint François Xavier, et avec elle deux de ses petites filles desia assez âgées, lesquelles s'estoient rendues dignes de cette grace par l'innocence de leur vie, par leur pieté, et par le soin extraordinaire qu'elles ont eu de se faire instruire en nos Mysteres.

Il fallut terminer cette ceremonie par le Baptesme d'un enfant de deux jours, afin de pouvoir offrir à Nostre-Seigneur des estrennes de tous les âges en ce premier jour de l'année 1672.

Je ne fus pas long-temps sans reprendre ce saint employ. Dés le 6. jour de Janvier, quatre filles bien instruites dans les choses de la Foy, receurent le Baptesme, puis un homme fait, et ensuite un enfant; aprés quoy, ayant entrepris d'aller faire Mission aux Nipissiriniens, toutes les fatigues d'un chemin tres-rude furent essuyées par la pieté de la pluspart de ces pauvres Sauvages, mais bien plus par le Baptesme de neuf enfans, dont deux n'attendoient que ce passe-port pour estre receus au Ciel, estant morts deux jours aprés avoir esté admis dans l'Eglise.

Cette Mission fut suivie d'une autre que j'entrepris vers les Outaoüacs d'Ekaentouton, où Dieu me fit trouver trois enfans à baptiser, l'un desquels mourut trois jours aprés, et fut receu au Ciel.

Ce n'estoit qu'une entrée pour le Baptesme d'un jeune homme de vingt ans, d'un enfant de huit ans, de deux jeunes hommes mariez, de trois jeunes filles de quinze à seize ans, de six jeunes garçons de douze à quatorze ans, et de deux veuves les plus considerables de toute la Nation: c'est le choix que je fis parmy les Catechumenes, n'admettant à ce Sacrement que les plus fervens, les mieux instruits, et les plus constans dans la pratique de la vertu.

Vers ce mesme temps, je fis diverses courses sur les glaces pour chercher la brebis égarée; j'y trouvay à donner le Baptesme à cinq enfans, et à un jeune homme malade, pour le salut duquel la Providence a eu les yeux plus ouverts que moy, parce que l'ayant baptisé par mégarde, non pas avec de l'eau naturelle, mais avec une certaine liqueur qui coule des arbres vers la fin de l'Hyver, qu'on appelle eau d'Erable, que je prenois pour de l'eau naturelle, je reconnus mon erreur lorsque voulant donner à ce malade quelque prise de Theriaque, je demanday de l'eau d'Erable, qui estant naturellement sucrée, est plus propre à cet effet, on me presenta de la mesme liqueur dont je m'estois servy pour le baptiser, ce qui m'obligea à reparer cette faute heureusement peu auparavant sa mort.

Le Printemps s'approchant, il fallut songer à mettre fin à mon hyvernement, pour retourner au Sault; nos Chrestiens se voulant consoler de mon absence, firent une grande Croix, et me prierent de les assister lorsqu'ils la planteroient au milieu de leurs Champs, ce qui fut fait avec bien de la devotion, chantans en leur langue le Vexilla, pendant que ce bois adorable s'élevoit en haut, et ils me promirent que tous les jours ils ne manqueroient pas de venir rendre leur hommage à ce triomphant Estendard du Roy du Ciel et de la Terre.

II me fallut donc quitter à regret ces bons Neophytes, aprés avoir baptisé plusieurs de leurs enfans, et pour ne pas perdre mon temps en m'en retournant, passé par Missisak, où je fis neuf Batesmes, et y exerçay les fonctions de Missionnaire, autant que le peu de temps que j'avois à rester parmy eux, me le put permettre.

Avant que de finir ce recit, je dois cette reconnoissance à la memoire du Pere Jean de Brébeuf, qui a autrefois consacré une partie de ce Lac par ses travaux, et qui a donné sa vie pour Jesus-Christ, par la plus horrible de toutes les cruautez des Iroquois; je luy dois, dis-je, cette reconnoissance, de publier quelques merveilles que Dieu a voulu operer envers nos Sauvages par ses merites; je n'en rapporteray que trois qui me paraissent considerables.

Un enfant se trouvant si malade, que tous les remedes estoient sans effet, ses parens s'aviserent d'y employer les Jongleurs; mais voyant que le mal alloit toujours s'augmentant, ils eurent une meilleure pensée, qui fut de me presenter leur enfant. Je le vis, mais il estoit si mal que je ne crus pas qu'aucun remede humain pust le delivrer; je recommanday donc aux parens d'avoir recours à Nostre-Seigneur, qui se laissoit fléchir par les intercessions d'un de ses serviteurs, que la pluspart des Sauvages avoient veu dans le païs des Hurons, et je leur ordonnay ensuite d'apporter l'enfant en la Chapelle trois jours de suitte, pour luy faire prendre un peu d'eau, dans laquelle j'avois trempé une Relique du Pere de Brébeuf: dés le second jour, il fut guery, et son pere en témoigna sa joye dans un festin public qu'il fit à cette occasion, et ensuite receut le Baptesme.

Une jeune femme qui avoit esté baptisée il y a quelques années au Cap de la Magdeleine, fut surprise d'une grosse fiévre, qui la mettoit en grand danger, avec un petit enfant qu'elle allaitoit. Je fus la voir pour la consoler, et ayant trouvé qu'elle se portoit fort mal, aprés quelques prieres que je luy fis faire, je luy donnay à boire un peu d'eau, où j'avois trempé ces mesmes Reliques; elle s'endormit là-dessus, passant tout le jour dans ce doux sommeil: dés le lendemain elle se trouva entierement guerie, et alla comme les autres femmes dans la forest, pour en apporter sa charge de bois.

Une jeune Chrestienne, fille d'une mere idolatre, se vit affligée d'une facheuse fluxion sur un œil et sur une joue, sa mere n'épargna ni remedes ni Jongleries pour sa guerison, mais tout fut inutile. J'appellay la fille dans la Chapelle; je luy lavay l'œil et la jouë de la mesme eau dont j'ay parlé, et dés la premiere fois, elle se trouva parfaitement guerie de son mal.

Voila, mon R. Pere, une partie de ce qui s'est passé pendant mon hyvernement de plus de six mois que j'ay employez à parcourir les Missions du Nord du Lac Huron, depuis sainte Marie du Sault jusqu'à Nipissing, c'est à dire plus de cent lieuës. Je vous prie de m'aider à remercier Nostre-Seigneur, des bontez qu'il a eues pendant tout ce temps-là pour les ouailles et pour le Pasteur.

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Version en français contemporain

CHAPITRE II.

De la Mission des Apôtres au lac Huron.

«Je partis de sainte Marie du Sault (Sault-Sainte-Marie), dit le Père, le 26 octobre 1671 pour aller prendre mon quartier d'hiver chez les Amikoüés (ou Castors), où je n'arrivai qu'après 18 jours de marche. J'eus la consolation en chemin de baptiser 4 petits enfants, et d'instruire leurs parents qui m'écoutèrent bien volontiers.

Le mauvais temps et les vents contraires nous ayant obligés de nous réfugier dans diverses îles, je ne pus me rendre à celle d'Ekaentouton (ou Ekaentouton), que le 6 novembre. J'y fis une Mission en passant, et y baptisai sept enfants. C'est là que je vis ce bon Sauvage nommé Louis, qui peut passer pour le miracle de ce christianisme, car ce n'est pas une petite merveille de voir un barbare qui depuis plusieurs années demeuré ferme dans la résolution qu'il a prise de passer le reste de ses jours dans le célibat, n'ayant que cette vue de se rendre plus agréable à Dieu, par ce genre de vie, qui est inoui parmi les Sauvages. J'ai été ravi de voir le respect que les jeunes gens de sa nation ont pour lui, et le soin qu'il prend de disposer un esclave à recevoir le baptême au printemps prochain. Après lui avoir donné la sainte communion, je l'ai laissé plein de confiance et de résolution pour persévérer, s'appuyant sur les forces que lui donne le sacrement de confirmation qu'il a reçu des mains de Monseigneur notre évêque.

Étant parti d'Ekaentouton le 8 novembre, et ayant été arrêté 2 jours sur une pointe de rocher par les vents contraires, enfin je me rendis au lieu où je devais passer l'hiver avec les Amikoüés, qui sont les Sauvages appelés la nation du castor. Je donnai commencement à cette Mission par le baptême de 14 petits enfants, le jour de la Présentation de la sainte Vierge, à laquelle je présentai ces premiers fruits de ma Mission.

Notre petite chapelle fut bientôt dressée, et en suite comme consacrée par le baptême d'une pauvre vieille, à qui la santé du corps fut rendue avec la vie de l'âme, par les mérites de la sainte Vierge et de saint François Xavier, à qui elle s'était recommandée.

Peu après, cinq petits enfants reçurent dans le même lieu le saint baptême, avec toutes les cérémonies de l'Église.

Le Diable, envieux du bien que cette Mission commençait de faire, et de l'honneur que j'avais fait rendre à Jésus-Christ par nos Sauvages la nuit de Noël, s'efforça d'en troubler la solennité par des cérémonies superstitieuses, que nous appelons jongleries, dont ces barbares se servent pour rendre la santé aux malades. Un de nos bons chrétiens étant réduit à l'extrémité par une très dangereuse maladie, les infidèles s'assemblèrent en grand nombre dans sa cabane, et employèrent tout ce qu'ils savaient de superstitions pour le rétablir en santé. J'en eus nouvelles, et aussitôt je me transportai dans cette cabane, où je trouvai tout ce monde bien occupé à cette impiété. Je m'approche du malade, je le réconcilie à Dieu au milieu de cette foule, par le sacrement de pénitence, et demeure toujours auprès de lui, dans la résolution de tout souffrir plutôt que de permettre qu'on enlevât la brebis d'entre les bras de son pasteur. Ces barbares, voyant leurs jongleries interrompues, se fâchent, me menacent et me commandent arrogamment de sortir, pour leur laisser achever ce qu'ils avaient commencé. Je tins ferme, et leur dis que ce malade m'appartenait parce qu'il était chrétien, et que je ne l'abandonnerais jamais. Un de ces furieux, plus insolent que les autres, voulut user de la force pour me mettre dehors. je résistai. Les autres se joignent à lui, et m'entraînent avec violence. Et comme la fureur était jointe à la force, ils ne purent pas me mettre hors de la cabane sans me laisser sur le visage des marques de leur colère. J'étais plus ravi de porter ces plaies, que s'ils m'eussent donné un empire, et la satisfaction qu'ils me firent par après en reconnaissant leur faute, et m'en demandant pardon, ne me fut pas si agréable que les coups que j'avais reçus, me souvenant de la joie qu'avaient les Apôtres quand ils étaient trouvés dignes de souffrir des ignominies pour le nom de Jésus-Christ. Le succès que Dieu me donna sur un jongleur fut encore plus éclatant. Je l'allais attaquer de nuit, alors qu'il se mettait en devoir de pratiquer ses superstitions, pour deviner quelle était la cause de la mort de deux enfants décédés peu auparavant, car tant s'en faut qu'il y put réussir, qu'au contraire, l'auteur de cette jonglerie, ayant vu sa femme tomber malade, et s'étant étonné que Dieu lui eut rendu soudainement la santé par le moyen de la prière, reconnut sa faute, et fit lui-même une belle et grande Croix, par l'ordre que je lui en donnai, que nous élevâmes avec grande cérémonie, pour être désormais l'objet de la vénération de ces peuples, et pour augmenter le triomphe de la Croix sur l'idolâtrie. Je baptisai en même temps cette vieille femme, à qui Dieu avait rendu la santé par les intercessions de saint François Xavier, et avec elle deux de ses petites filles déjà assez âgées, lesquelles s'étaient rendues dignes de cette grâce par l'innocence de leur vie, par leur piété, et par le soin extraordinaire qu'elles ont eu de se faire instruire en nos Mystères.

Il fallut terminer cette cérémonie par le baptême d'un enfant de deux jours, afin de pouvoir offrir à Notre-Seigneur des étrennes de tous les âges en ce premier jour de l’année 1672.

Je ne fus pas longtemps sans reprendre ce saint emploi. Dès le 6 janvier, quatre filles bien instruites dans les choses de la Foi reçurent le baptême, puis un homme quadragénaire, et ensuite un enfant. Après quoi, ayant entrepris d'aller faire Mission aux Nipissiriniens, toutes les fatigues d'un chemin très rude furent essuyées par la piété de la plupart de ces pauvres Sauvages, mais bien plus par le baptême de neuf enfants, dont deux n'attendaient que ce passeport pour être reçus au Ciel, étant morts deux jours après avoir été admis dans l'Église.

Cette Mission fut suivie d'une autre que j'entrepris vers les Outaouais d'Ekaentouton, où Dieu me fit trouver trois enfants à baptiser, l'un desquels mourut trois jours après, et fut reçu au Ciel.

Ce n'était qu'une entrée pour le baptême d'un jeune homme de vingt ans, d'un enfant de huit ans, de deux jeunes hommes mariés, de trois jeunes filles de quinze à seize ans, de six jeunes garçons de douze à quatorze ans, et de deux veuves les plus importantes de toute la nation. C'est le choix que je fis parmi les catéchumènes, n'admettant à ce sacrement que les plus fervents, les mieux instruits, et les plus constants dans la pratique de la vertu.

En ce même temps, je fis diverses courses sur les glaces pour chercher la brebis égarée. J'y trouvai à donner le baptême à cinq enfants, et à un jeune homme malade, pour le salut duquel la Providence a eu les yeux plus ouverts que moi, parce que l'ayant baptisé par mégarde, non pas avec de l'eau naturelle, mais avec une certaine liqueur qui coule des arbres vers la fin de l'hiver, qu'on appelle eau d'érable, que je prenais pour de l'eau naturelle. Je reconnus mon erreur lorsque voulant donner à ce malade quelque prise de Thériaque
(électuaire opiacé qui était employé contre la morsure des serpents), je demandai de l'eau d'érable, qui étant naturellement sucrée, est plus propre à cet effet, on me présenta de la même liqueur dont je m'étais servi pour le baptiser, ce qui m'obligea à réparer cette faute heureusement peu auparavant sa mort.

Le printemps s'approchant, il fallut songer à mettre fin à mon hivernage, pour retourner au Sault. Nos chrétiens se voulant consoler de mon absence, firent une grande Croix, et me prièrent de les assister lorsqu'ils la planteraient au milieu de leurs champs, ce qui fut fait avec bien de la dévotion, chantant en leur langue le
Vexilla regis (hymne liturgique), pendant que ce bois adorable s'élevait, et ils me promirent que tous les jours ils ne manqueraient pas de venir rendre leur hommage à ce triomphant étendard du Roy du Ciel et de la Terre.

II me fallut donc quitter à regret ces bons néophytes, après avoir baptisé plusieurs de leurs enfants. Et pour ne pas perdre mon temps en m'en retournant, passé par Missisak
(Missisauga), où je fis neuf baptêmes, et y exerçai les fonctions de Missionnaire, autant que le peu de temps que j'avais à rester parmi eux me le put permettre.

Avant que de finir ce récit, je dois cette reconnaissance à la mémoire du Père Jean de Brébeuf, qui a autrefois consacré une partie de ce lac par ses travaux, et qui a donné sa vie pour Jésus-Christ par la plus horrible de toutes les cruautés des Iroquois. Je lui dois, dis-je, cette reconnaissance de publier quelques merveilles que Dieu a voulu opérer envers nos Sauvages par ses mérites. Je n'en rapporterai que trois qui me paraissent importantes.

Un enfant se trouvant si malade, que tous les remèdes étaient sans effet, ses parents s'avisèrent d'y employer les jongleurs
(sorciers). Mais voyant que le mal allait toujours s'augmentant, ils eurent une meilleure idée qui fut de me présenter leur enfant. Je le vis, mais il était si mal que je ne crus pas qu'aucun remède humain put le délivrer. Je recommandai donc aux parents d'avoir recours à Notre-Seigneur, qui se laissait fléchir par les intercessions d'un de ses serviteurs que la plupart des Sauvages avaient vu dans le pays des Hurons, et je leur ordonnai ensuite d'apporter l'enfant dans la chapelle trois jours de suite pour lui faire prendre un peu d'eau dans laquelle j'avais trempé une relique du Père de Brébeuf. Dès le second jour, il fut guéri, et son père en témoigna sa joie dans un festin public qu'il fit à cette occasion, et ensuite reçut le baptême.

Une jeune femme qui avait été baptisée il y a quelques années au Cap-de-la-Madeleine, fut prise d'une grosse fièvre qui la mettait en grand danger, avec un petit enfant qu'elle allaitait. Je vins la voir pour la consoler, et ayant trouvé qu'elle se portait fort mal, après quelques prières que je lui fis faire, je lui donnai à boire un peu d'eau, où j'avais trempé ces mêmes reliques. Elle s'endormit là-dessus, passant tout le jour dans ce doux sommeil. Dès le lendemain, elle se trouva entièrement guérie, et alla comme les autres femmes dans la forêt pour en apporter sa charge de bois.

Une jeune chrétienne, fille d'une mère idolâtre, se vit affligée d'une fâcheuse fluxion sur un œil et sur une joue. Sa mère n'épargna ni remèdes ni jongleries pour sa guérison, mais tout fut inutile. J'appellai la fille dans la chapelle. Je lui lavai l'œil et la joue de la même eau dont j'ai parlé, et dès la première fois, elle se trouva parfaitement guérie de son mal.

Voila, mon Révérend Père, une partie de ce qui s'est passé pendant mon hibernnation de plus de six mois que j'ai employés à parcourir les Missions du Nord du lac Huron, depuis sainte Marie du Sault
(Sault-Sainte-Marie) jusqu'à Nipissing, c'est à dire plus de cent lieues. Je vous prie de m'aider à remercier Notre-Seigneur, des bontés qu'il a eues pendant tout ce temps-là pour les ouailles et pour le Pasteur.»

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