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Les Relations des Jésuites contiennent 6 tomes et défont le mythe du bon Sauvage de Jean-Jacques Rousseau, et aussi des légendes indiennes pour réclamer des territoires, ainsi que la fameuse «spiritualité amérindienne».

jeudi, juin 17, 2010

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CHAPITRE II.

Le tesmoignage illustre que rend la Reuerende Mere Marie de l'Incarnation, de la Prouidence particuliere de Dieu sur la vocation de Madame de la Peltrie en Canada.

Je produis ce témoignage d'autant plus voluntiers, que la sainteté et le merite de la personne, dont nous parlerons cy-apres, luy donne son autorité et son poids: voicy ses propres termes.

Environ l'an mil six cent trente-trois, vers la fin de l'année, peu apres que j'eus fait ma profession Religieuse, m'estant retirée à l'issue de Matines, dans nostre cellule, il me sembla dans un leger sommeil, que je pris par la main une jeune Dame Seculiere, et que marchant avec elle d'un pas plus prompt que le sien, je la devançois toujours, sans neantmoins la laisser. Nostre chemin estoit vers le lieu où l'on s'embarquoit. Nous allasmes toujours de compagnie durant nostre voyage, jusques au lieu où nous nous devions rendre. Enfin nous arrivasmes à un grand païs. Estans descendues à terre, nous montasmes sur une coste par un passage commode la largeur d'un grand portail; à costé de cette ouverture, parut nn homme vestu à la façon qu'on depeint les Apostres, qui, nous regardant benignement ma compagne et moy, me fit signe de la main, me donnant à entendre que c'estoit là nostre chemin pour aller à nostre demeure; quoy qu'il ne parlast point, son signe me servoit d'adresse pour aller à une petite Eglise, située sur la coste. Cette place estoit quarrée en forme d'un Monastere, les bastimens beaux et reguliers; cependant sans m'arrester à en considerer la structure, mon cœur estoit attiré vers cette petite Eglise, qui m'avoit esté montrée par le gardien de ce païs. Je sentois toujours ma compagne apres moy; et en avançant, je vis un chemin qui conduisoit au bas de ce grand païs, qu'en un moment je consideray tout entier: il me parut couvert d'un broüillars espais, au milieu duquel j'entrevis une Eglise quasi enfonsée dans ces tenebres, en sorte qu'on n'en voyoit que le faiste. Ces obscuritez, qui remplissoient ce pauvre païs, estoient affreuses, et paroissoient inaccessibles; ma compagne cependant me quitta, et descendit quelques pas dans l'espaisseur de ces broüillars. Pour moy, qui dés le commencement avois eu signe d'aller à une petite Eglise qui estoit sur le bord de la coste où nous estions, je ne respirois que d'y arriver au plus tost; elle estoit d'un beau marbre blanc, tout orné d'une belle sculpture à l'antique. La sainte Vierge estoit assise au dessus, tout au milieu, et regardoit ce grand païs, portant en son sein le saint Enfant Jesus. La Mere et le Fils me paroissoient de marbre; cependant leur attrait estoit si charmant, qu'il me sembloit que je ne serois jamais arrivee assez tost pour contenter ma devotion.

J'y arrivay enfin, pleine d'une ardeur qui me consumoit. Pour lors je fus bien surprise, car levant les yeux je trouvay que la sainte Vierge et son divin Enfant n'estoient plus de marbre, mais de chair, et que cette sacree Mere jettoit ses regards pitoyables sur ce païs desolé, et que baissant la teste, elle en entretenoit le petit Jesus; il me sembloit aussi qu'elle luy parloit de moy, ce qui m'enflammoit le cœur de plus en plus.

La beauté du visage de la sainte Vierge, qui paroissoit de l'âge de quinze à seize ans, estoit ravissante; l'impression en est encore entiere dans mon esprit. Là dessus, je m'éveillay avec nne grande idée pour la conversion du païs que j'avois veu; je n'avois neantmoins aucune veuë de ce que pouvoit signifier cette vision, tout m'estoit un mystere que je n'entendois pas, parce qu'en tout cela il ne me fut pas dit une seule parole. Un jour donc que j'estois devant le saint Sacrement, je receus tout d'un coup une nouvelle impression de cette mesme vision, et tout ce que j'avois veu de ce grand païs fut representé à mon esprit dans toutes ses circonstances. Là divine Majesté en cette vision, me dit interieurement: C'est là le Canada que je t'avois monstré, il faut que tu y ailles faire une maison à Jesus et à Marie. Je n'avois jusques alors jamais entendu parler de ce que c'estoit que le Canada, que quand, pour faire peur aux enfans, on les menaçoit de les envoyer en Canada; je le prenois pour un mot d'épouvante ou de raillerie. Pour cet homme, qui en estoit le gardien, je ne pus douter que ce ne fust saint Joseph, Jesus et Marie ne pouvant estre sans luy.

Il y avoit donc environ six ans que tout cela s'estoit passé, lors que Madame de la Peltrie et Monsieur de Bernieres arriverent à Tours pour faire le contract de fondation sous le bon plaisir de Monseigneur Deschau, Archevesque, Superieur du Monastere, et des filles qu'on venoit demander. Ce fut le R. P. Recteur du College de la Compagnie de Jesus, qui nous en vint apporter la nouvelle, que nostre Reverende Mere Prieure receut avec action de grace, et qui de là à nostre sollicitation, alla trouver mondit Seigneur de Tours, et luy demanda des Religieuses Ursulines pour accompagner Madame de la Peltrie, qui avoit le dessein d'aller fonder un Seminaire en Canada, pour l'instruction des filles Sauvages. Cette demande surprit d'abord ce bon Prelat; neantmoins apres qu'il eut esté bien informé de tout par ce Pere, alors eslevant sa voix: Ha! mon Pere, luy dit-il, est-il bien possible que Dieu veuille prendre de mes filles pour un dessein si glorieux? helas! que je seray heureux, s'il s'en trouve dans cette Communauté qui ayent vocation pour exposer leur vie si genereusement! Le Pere luy repliqua que la divine Providence y avoit pourveu, et m'avoit donné cette vocation: Allez, je vous prie, mon Pere, luy répondit-il, allez encore luy parler, interrogez-la bien sur ce sujet, et revenez au plus tost m'apprendre ce qui en est.

Sur ces entrefaites, Madame de la Peltrie entre avec Monsieur de Bernieres; il la receut avec mille benedictions sur sa genereuse entreprise, et fut tellement touché de sa rare modestie, et du zele qui paroissoit dans ses paroles, et dans l'ouverture qu'elle luy fit, des sentimens de son cœur,qu'il acquiesça avec joye à toutes les demandes qui luy furent faites, sur tout, lors qu'il eut appris par le retour du Pere, qui m'estoit venu examiner de sa part sur ma vocation, ce qui en estoit au vray. En mesme temps il voulut qu'on nous amenast Madame de la Peltrie, qu'on luy ouvrist les portes du Monastere, à elle et à ses suivantes, et qu'on la receust dans la Maison, comme sa propre personne.

Cette bonne Dame, qui avoit apprehendé l'abord de Monseigneur de Tours, fut ravie de voir son affaire faite si promptement; et sans differer davantage, vint au Monastere pour nous faire part de cette bonne nouvelle, et connoistre celles que Dieu luy avoit destinées pour ses compagnes.

A son arrivée, la Communauté s'assembla au son de la cloche, et s'estant rangée en ordre pour la recevoir en ceremonie, selon les intentions de mondit Seigneur, nous la conduisismes au Chœur en chantant le Veni creator, qui fut suivy du Te Deum. Toutes pleuroient de joye de voir cette pieuse Dame, qu'on regardoit comme un Ange du Ciel; elle de son costé, pensoit estre en Paradis. Pour moy, dés que je l'eus envisagée, je me souvins de ma vision, et reconnus en elle la compagne qui s'estoit jointe à moy, pour aller à ce grand païs qui m'avoit esté montré: sa modestie, sa douceur et son teint m'en renouvellerent l'idée; tous les traits de son visage me parurent estre les mesmes. Il y avoit environ six ans que cela m'estoit arrivé, et cependant j'en avois l'idée aussi distincte que s'il n'y eut eu qu'un jour. Ce qui me fit encore admirer davantage la divine Providence, fut ce que j'appris par apres d'elle mesme, qu'en ce mesme temps que Dieu me l'avoit fait connoistre, il luy avoit aussi donné les premieres inspirations de sa vocation pour le Canada.

Pour ne point m'arrester au detail de mille circonstances,qui changerent, dans cette agreable entreveuë, nostre Communauté en un petit Paradis, la difficulté fut de nous trouver une compagne, car toutes le vouloient estre. On alloit en foule trouver Monsieur de Bernieres, qui estoit resté au parloir, pour obtenir cette grace de Monseigneur de Tours par son entremise. Enfin le sort tomba heureusement sur une fille pleine de courage et de zele, et accomplie en toute sorte d'avantages de la nature et de la grace; c'estoit la Mere Marie de saint Joseph, appellée auparavant, de saint Bernard, dont il est fait mention en la Relation de l'an 1652. pour avoir finy sainctement sa vie en ce païs, comme elle s'y estoit employée l'espace de treize ans avec grand fruit pour le salut des ames.

Toutes choses estant ainsi terminées, en peu de temps, selon nos souhaits, nous prîmes congé, particulierement de mondit Seigneur, et ayant receu sa benediction, nous partîmes incessamment de Tours pour nous rendre au plus tost à Paris; où estant arrivées sur la fin de Fevrier de l'an 1639. nous esperions bien augmenter nostre nombre de quelques-unes des Religieuses Ursulines du Fauxbourg saint Jacques, qui avoient la mesme vocation que nous; et nostre esperance en estoit d'autant plus grande que nous n'ignorions pas le zele de cette Maison pour le Canada, et la disposition qu'elle avoit de s'en priver tres-volontiers pour une si saincte entreprise.

En effet, il s'en trouva qui estoient toutes disposées dés lors, à se joindre avec nous, comme firent l'année suivante la Mere Anne de saint Claire et la Mere Marguerite de saint Athanase; mais Monseigneur de Paris ne le jugea pas à propos, ne pouvant pas encore se resoudre à donner son approbation à un dessein si extraordinaire.

La divine Providence avoit destiné cette place pour cette année, à la Mere Cecile de sainte Croix, que nous trouvasmes heureusement au Monastere des Ursulines de Dieppe, dans des ardeurs incroyables d'exposer sa vie aux tempestes et aux dangers de la mer, pour cooperer avec nous, dans les emplois propres de nostre Institut, au glorieux dessein de la conversion de ces nations barbares.

Enfin, apres avoir surmonté mille difficultez, par une assistance du Ciel toute particuliere, nous nous embarquâmes le 4. de May, cinq que nous estions, sans parler des Reverends Peres Jesuites, qui nous assisterent en tout, et ne nous abandonnerent jamais, et sans y comprendre aussi les Reverendes Meres Hospitalieres, que le saint Esprit avoit inspirées de demander la mesme Mission, pour exercer les œuvres de misericorde envers les François et les Sauvages malades, appuyées de la pieté de Madame la duchesse d'Eguillon, qui avoit donné la premiere ouverture à ce dessein, et fournissoit le fond necessaire à son establissement.

Enfin, sous la protection de la saincte Vierge, à laquelle nous avions eu recours tres-particulierement dans trois ou quatre dangers manifestes de naufrage, le premier jour d'Aoust de la mesme année, nous arrivâmes toutes heureusement à Quebec, où nous fûmes receuës par Monsieur de Mont-magny, Gouverneur, par les Reverends Peres Jesuites, et par tous les François et les Sauvages, avec toutes les civilitez et les demonstrations de joye imaginables.

Aussi-tost que je me vis sur cette terre tant desirée, je m'y prosternay et la baisay dans des sentimens de respect et de reconnoissance envers la divine Majesté, que j'adoray dans le païs, qu'elle m'avoit montré il y avoit longtemps. Je le reconnus tel que je l'avois veu, à la reserve de ces épaisses tenebres, qui me parurent dissipées, la Foy ayant déja fait de notables progrez dans les nations Algonquines, Montagnaises et Huronnes, par les soins des Reverends Peres de la Compagnie de Jesus.

Ces bons Sauvages nous regardoient comme personnes venuës du Ciel, ils mettoient la main sur leurs bouches par admiration, estonnez de ce que pour l'amour d'eux, nous avions quitté nostre païs, nos biens, nos parens et nos amis. Nous caressions et embrassions celles de nostre sexe, sans horreur, ny de leurs cheveux graissez, ny de leur mauvaise odeur, c'estoient tous nos tresors et toutes nos delices.

Le premier Chrestien, Noël Negabamat, nous amena deux de ses filles, et ensuite ce qu'il y avoit sur le lieu de filles Sauvages. Madame nostre chere Fondatrice, estoit ravie de se voir en possession de ce qu'elle avoit tant souhaitté, et de les pouvoir servir. Elle en voulut absolument avoir la charge en chef, et il luy fallut donner cette consolation.

Ce fut un plaisir de la voir déployer ce qu'elle avoit apporté pour faire de petites simares à ses cheres filles, que nous vestîmes de camelot rouget; les Sauvages en furent ravis, les voyant toutes habillées d'une mesme parure.

Comme nous ne pouvions pas encore estre en cloture, la maison que nous avions d'emprunt, ne desemplissoit point, non plus qu'une grande chaudiere qui estoit toujours sur le feu; rien ne nous estoit trop cher pour nos pauvres Sauvages. L'humilité et la charité de nostre pieuse Dame estoient si grandes, qu'elle rendoit à nos petites Sauvages les mesmes services que fait une nourrice à son enfant, avec une joye aussi grande que le monde en trouve dans ses delices les plus charmants. Et quoy qu'elle fust naturellement d'une complexion tres-delicate, elle ne le faisoit point paroistre dans ces rencontres, mangeant souvent dans les cabanes avec les Sauvages, qui l'aimoient et l'honoroient à leur façon, plus qu'il ne se peut dire.

Mais ce narré de la Reverende Mere Marie de l'Incarnation, m'engage insensiblement à faire icy un petit abregé des principales vertus de cette pieuse Dame.

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Version en français contemporain

CHAPITRE II.

Le témoignage illustre que rend la Révérende Mère Marie de l'Incarnation, de la Providence particulière de Dieu sur la vocation de Madame de la Peltrie en Canada.


Je produis ce témoignage d'autant plus volontiers, que la sainteté et le mérite de la personne, dont nous parlerons ci-après, lui donne son autorité et son poids: voici ses propres termes.

«Environ en l'an mil six cent trente-trois, vers la fin de l'année, peu après que j'eus fait ma profession religieuse, m'étant retirée à l'issue des matines (office canonique chanté entre minuit et le lever du jour), dans notre cellule, il me sembla dans un léger sommeil, que je pris par la main une jeune dame séculière, et que marchant avec elle d'un pas plus prompt que le sien, je la devançais toujours, sans néanmoins la laisser. Notre chemin était vers le lieu où l'on s'embarquait. Nous allâmes toujours de compagnie durant notre voyage, jusqu'au lieu où nous nous devions rendre. Enfin nous arrivâmes à un grand pays. Étant descendues à terre, nous montâmes sur une côte par un passage commode la largeur d'un grand portail. À côté de cette ouverture, parut nn homme vêtu à la façon qu'on dépeint les Apôtres, qui, nous regardant avec bonté ma compagne et moi, me fit signe de la main, me faisant comprendre que c'était là notre chemin pour aller à notre demeure. Quoiqu'il ne parlât point, son signe me servait d'adresse pour aller à une petite église, située sur la côte. Cette place était carrée en forme de monastère, les bâtiments beaux et réguliers. Cependant sans m'arrêter à en considérer la structure, mon cœur était attiré vers cette petite église, qui m'avait été montrée par le gardien de ce pays. Je sentais toujours ma compagne après moi. Et en avançant, je vis un chemin qui conduisait au bas de ce grand pays, qu'en un moment je considérai tout entier. Il me parut couvert d'un brouillard épais, au milieu duquel j'entrevis une église quasi enfoncée dans ces ténèbres, en sorte qu'on n'en voyait que le sommet. Ces ombres qui remplissaient ce pauvre pays étaient affreuses et paraissaient inaccessibles. Ma compagne cependant me quitta, et descendit quelques pas dans l'épaisseur de ces brouillards. Pour moi, qui dès le commencement avais eu signe d'aller à une petite église qui était sur le bord de la côte où nous étions. Je n’aspirais qu’à y arriver au plus tôt. Elle était d'un beau marbre blanc, tout orné d'une belle sculpture antique. La sainte Vierge était assise au dessus, tout au milieu, et regardait ce grand pays, portant en son sein le saint Enfant Jesus. La Mere et le Fils me paraissaient de marbre. Cependant leur attrait était si charmant, qu'il me semblait que je ne serais jamais arrivée assez tôt pour contenter ma dévotion.

J'y arrivai enfin, pleine d'une ardeur qui me consumait. Alors je fus bien surprise, car levant les yeux je trouvai que la sainte Vierge et son divin Enfant n'étaient plus de marbre, mais de chair, et que cette sacrée Mère jetait ses regards pitoyables sur ce pays désolé, et que baissant la tête, elle en entretenait le petit Jésus. Il me semblait aussi qu'elle lui parlait de moi, ce qui m'enflammait le cœur de plus en plus.

La beauté du visage de la sainte Vierge, qui semblait âgée de de quinze ou seize ans, était ravissante. L'impression en est encore entière dans mon esprit. Là-dessus, je m'éveillai avec nne grande idée pour la conversion du pays que j'avais vu. Je n'avais néanmoins aucune idée de ce que pouvait signifier cette vision. Tout m'était un mystère que je ne comprenais pas, parce qu'en tout cela il ne me fut pas dit une seule parole. Un jour donc que j'étais devant le saint Sacrement, je reçu tout d'un coup une nouvelle impression de cette même vision, et tout ce que j'avais vu de ce grand pays fut représenté à mon esprit dans toutes ses circonstances. La divine Majesté en cette vision, me dit intérieurement:
«C'est là le Canada que je t'avais montré. Il faut que tu y ailles faire une maison à Jésus et à Marie.» Je n'avais jusqu’alors jamais entendu parler de ce que c'était que le Canada, que quand, pour faire peur aux enfants, on les menaçait de les envoyer en Canada. Je le prenais pour un mot d'épouvante ou de raillerie. Pour cet homme, qui en était le gardien, je ne pus douter que ce ne fut saint Joseph, Jésus et Marie ne pouvant être sans Lui.

Il y avait donc environ six ans que tout cela s'était passé, alors que Madame de la Peltrie et Monsieur de Bernieres arrivèrent à Tours pour faire le contrat de fondation sous le bon plaisir de Monseigneur Deschau, Archevêque, Supérieur du monastère, et des filles qu'on venait demander. Ce fut le R. P. Recteur du Collège de la Compagnie de Jésus, qui nous en vint apporter la nouvelle, que notre Révérende Mère Prieure reçut avec action de grâce, et qui de là à notre sollicitation, alla trouver mondit (mondit seigneur, locution employée pour rappeler qu'il a été déjà question de cette personne) Seigneur de Tours, et lui demanda des religieuses ursulines pour accompagner Madame de la Peltrie, qui avait le dessein d'aller fonder un séminaire en Canada, pour l'instruction des Sauvagesses. Cette demande surprit d'abord ce bon prélat. Néanmoins après qu'il eut été bien informé de tout par ce Père, alors élevant sa voix: «Ha! mon Père, lui dit-il, est-il bien possible que Dieu veuille prendre de mes filles pour un dessein si glorieux? Ha! Que je serais heureux, s'il s'en trouve dans cette communauté qui aient vocation pour exposer leur vie si généreusement!» Le Père lui répliqua que la divine Providence y avait pourvu, et m'avait donné cette vocation: «Allez, je vous prie, mon Père, lui répondit-il, allez encore lui parler, interrogez-la bien sur ce sujet, et revenez au plus tôt m'apprendre ce qui en est.»

Sur ces entrefaites, Madame de la Peltrie entre avec Monsieur de Bernieres. Il la reçut avec mille bénédictions sur sa généreuse entreprise, et fut tellement touché de sa rare modestie, et du zèle qui paraissait dans ses paroles, et dans l'ouverture qu'elle lui fit, des sentiments de son cœur,qu'il acquiesça avec joie à toutes les demandes qui lui furent faites, surtout, alors qu'il eut appris par le retour du Père, qui était venu m’examiner de sa part sur ma vocation, ce qui en était au juste. En même temps il voulut qu'on nous amenât Madame de la Peltrie, qu'on lui ouvrit les portes du monastère, à elle et à ses suivantes, et qu'on la reçut dans la maison, comme sa propre personne.

Cette bonne dame, qui avait appréhendé l'abord de Monseigneur de Tours, fut ravie de voir son affaire faite si promptement, et sans différer davantage, vint au monastère pour nous faire part de cette bonne nouvelle, et connaître celles que Dieu lui avait destinées pour ses compagnes.

A son arrivée, la communauté s'assembla au son de la cloche, et s'étant rangée en ordre pour la recevoir en cérémonie, selon les intentions du dit Seigneur, nous la conduisîmes au chœur en chantant
le Veni creator, qui fut suivi du Te Deum. Toutes pleuraient de joie de voir cette pieuse dame, qu'on regardait comme un ange du Ciel. Elle de son côté, pensait être en Paradis. Pour moi, dès que je l'eu envisagée, je me souvins de ma vision, et reconnus en elle la compagne qui s'était jointe à moi, pour aller à ce grand pays qui m'avait été montré. Sa modestie, sa douceur et son teint m'en renouvelèrent l'idée. Tous les traits de son visage me parurent être les mêmes. Il y avait environ six ans que cela m'était arrivé, et cependant j'en avais l'idée aussi distincte que s'il n'y eût eu qu'un jour. Ce qui me fit encore admirer davantage la divine Providence, fut ce que j'appris par après d'elle-même, qu'en ce même temps que Dieu me l'avait fait connaître, Il lui avait aussi donné les premières inspirations de sa vocation pour le Canada.

Pour ne point m'arrêter au détail de mille circonstances, qui changèrent, dans cette agréable entrevue, notre communauté en un petit Paradis, la difficulté fut de nous trouver une compagne, car toutes le voulaient être. On allait en foule trouver Monsieur de Bernières, qui était resté au parloir, pour obtenir cette grâce de Monseigneur de Tours par son entremise. Enfin le sort tomba heureusement sur une fille pleine de courage et de zèle, et accomplie en toute sorte d'avantages de la nature et de la grâce. C'était la Mère Marie de saint Joseph, appelée auparavant, de saint Bernard, dont il est fait mention en la
Relation de l'an 1652 pour avoir fini saintement sa vie en ce pays, comme elle s'y était employée l'espace de treize ans avec grand fruit pour le salut des âmes.

Toutes choses étant ainsi terminées, en peu de temps, selon nos souhaits, nous prîmes congé, particulièrement du dit Seigneur, et ayant reçu sa bénédiction, nous partîmes incessamment de Tours pour nous rendre au plus tôt à Paris; où étant arrivées sur la fin de février 1639 nous espérions bien augmenter notre nombre de quelques-unes des ursulines du Fauxbourg saint Jacques, qui avaient la même vocation que nous. Et notre espérance en était d'autant plus grande que nous n'ignorions pas le zèle de cette maison pour le Canada, et la disposition qu'elle avait de s'en priver très volontiers pour une si sainte entreprise.

En effet, il s'en trouva qui étaient toutes disposées alors, à se joindre avec nous, comme firent l'année suivante la Mère Anne de saint Claire et la Mère Marguerite de saint Athanase. Mais Monseigneur de Paris ne le jugea pas à propos, ne pouvant pas encore se résoudre à donner son approbation à un dessein si extraordinaire.

La divine Providence avait destiné cette place pour cette année, à la Mère Cécile de sainte Croix, que nous trouvâmes heureusement au monastère des ursulines de Dieppe, dans des ardeurs incroyables d'exposer sa vie aux tempêtes et aux dangers de la mer, pour coopérer avec nous, dans les emplois propres de notre Institut, au glorieux dessein de la conversion de ces nations barbares.

Enfin, après avoir surmonté mille difficultés, par une assistance du Ciel toute particulière, nous nous embarquâmes le 4 mai, cinq que nous étions, sans parler des Révérends Pères Jésuites, qui nous assistèrent en tout, et ne nous abandonnèrent jamais, et sans y comprendre aussi les Révérendes Mères Hospitalières, que le saint Esprit avait inspirées de demander la même Mission, pour exercer les œuvres de miséricorde envers les Français et les Sauvages malades, appuyées de la piété de Madame la duchesse d'Éguillon, qui avait donné la première ouverture à ce dessein, et fournissait le fond nécessaire à son établissement.

Enfin, sous la protection de la sainte Vierge, à laquelle nous avions eu recours très particulièrement dans trois ou quatre dangers manifestes de naufrage, le premier jour d'août de la même année, nous arrivâmes toutes heureusement à Québec, où nous fûmes reçues par Monsieur de Mont-magny, Gouverneur, par les Révérends Pères jésuites, et par tous les Français et les Sauvages, avec toutes les civilités et les démonstrations de joie imaginables.

Aussitôt que je me vis sur cette terre tant desirée, je m'y prosternai et la baisai avec respect et reconnaissance envers la divine Majesté, que j'adorai dans le pays, qu'Elle m'avait montré il y avait longtemps. Je le reconnus tel que je l'avais vu, sans ces épaisses ténèbres qui me parurent dissipées, la Foi ayant déja fait de notables progrès dans les nations algonquines, montagnaises et huronnes, par les soins des Révérends Pères de la Compagnie de Jésus.

Ces bons Sauvages nous regardaient comme des personnes venues du Ciel. Ils mettaient la main sur leurs bouches par admiration, étonnés de ce que pour l'amour d'eux, nous avions quitté notre pays, nos biens, nos parents et nos amis. Nous caressions et embrassions celles de notre sexe, sans horreur, ni de leurs cheveux gras, ni de leur mauvaise odeur. C'étaient tous nos trésors et délices.

Le premier chrétien, Noël Negabamat, nous amena deux de ses filles, et ensuite ce qu'il y avait sur le lieu de Sauvagesses. Madame notre chère fondatrice, était ravie de se voir en possession de ce qu'elle avait tant souhaité, et de les pouvoir servir. Elle en voulut absolument avoir la charge en chef, et il lui fallut donner cette consolation.

Ce fut un plaisir de la voir déployer ce qu'elle avait apporté pour faire de petites simarres à ses chères filles, que nous vêtîmes de camelot
(Grosse étoffe en laine ou en poil de chèvre ou de chameau) Grouget; les Sauvages en furent ravis, les voyant toutes habillées d'une même parure.

Comme nous ne pouvions pas encore être en clôture (Espace fermé que constitue un monastère), la maison temporaire ne désemplissait pas, non plus qu'une grande chaudière qui était toujours sur le feu. Rien ne nous était trop cher pour nos pauvres Sauvages. L'humilité et la charité de notre pieuse dame étaient si grandes, qu'elle rendait à nos petites Sauvages les mêmes services que fait une nourrice à son enfant, avec une joie aussi grande que le monde en trouve dans ses délices les plus charmantes. Et quoi qu'elle fut naturellement d'une constitution très délicate, elle ne le faisait point paraître dans ces rencontres, mangeant souvent dans les cabanes (abris sommaires) avec les Sauvages, qui l'aimaient et l'honoraient à leur façon, plus qu'il ne se peut dire.»

Mais ce récit de la Révérende Mère Marie de l'Incarnation, m'engage fortement à faire ici un petit abrégé des principales vertus de cette pieuse dame.

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