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Les Relations des Jésuites contiennent 6 tomes et défont le mythe du bon Sauvage de Jean-Jacques Rousseau, et aussi des légendes indiennes pour réclamer des territoires, ainsi que la fameuse «spiritualité amérindienne».

dimanche, janvier 11, 2009

CHAPITRE II

ALIÉNATIONS



Puisque la «plus grande action à mener», le «mouvement intégral» deviennent, dans le système marxiste-léniniste, la fin suprême et la mesure de tout, il est facile de comprendre que le marxisme sera l'ennemi de tout ce qui fixe, tout ce qui ralentit, tout ce qui freine le rendement de cette pratique et de cette action.

Image d'un moteur dont on chercherait à augmenter la vitesse de rotation. Les frottements sont l'ennemi, avec tout ce qui peut empêcher de tourner plus rapidement: le manque d'énergie, le poids, la nature, la forme peut-être de telle ou telle pièce, etc.

Tout élément de force, tout facteur de mouvement ou de plus grande puissance seront systématiquement recherchés, provoqués, favorisés.

Tout ce qui risque de freiner, au contraire, tout ce qui signifie ENRACINEMENT, fixation, attachement à quelque bien ou vérité sera COMBATTU, ET DÉTRUIT si l'on peut.

Telle est la loi, telle est l'économie de l'action marxiste, action révolutionnaire.

La vieille formule de Rousseau reprend ici tout son sens: «L'homme naît libre et partout il est dans les fers.» Car la plus douce attache, le lien des plus saintes fidélités sont considérés comme autant de fers par l'esprit révolutionnaire.

Autant d'«ALIÉNATIONS», pour un marxiste! Et, par ce terme, peut être désigné tout ce qui risque de faire obstacle à son idéal dialectique (58). Conventions, traditions sociales, fidélités provinciales, patries, nations, propriété : en un mot tout ce qui fixe, tout ce qui enracine, tout ce qui est durable ou favorise la stabilité (59). Désaliéner, déraciner, prolétariser Le rapport est évident, en effet: la désaliénation systématique de l'homme est la condition même de l'essor dialectique.

Pour que le moteur puisse tourner plus vite, que tous les frottements soient supprimés.

Nécessité, donc, de promouvoir, de favoriser ce qui a valeur d'action, de mouvement, ce qui est force. Tout mettre en œuvre pour découvrir, décupler de nouvelles sources d'énergie. Augmenter la puissance industrielle, la production, les ressources techniques (60).

Mais, pour y mieux parvenir, nécessité de combattre ce qui peut faire obstacle à cette frénétique impulsion: un mauvais équipement industriel, par exemple, sans oublier l'ignorance (mais celle qui empêcherait seulement une meilleure maîtrise des forces matérielles). Et plus encore les courants de pensée, les croyances religieuses, les convictions qui peuvent entretenir un courant de fidélité au passé, ou, seulement une idéologie contraire au plein succès du déferlement qu'on se soucie de promouvoir.

Pour réaliser un idéal d'action pure, il faut, en effet, un état de disponibilité pure, un état de déracinement total.

Et c'est parce que le prolétariat est essentiellement une classe de «sans racines» qu'il est, par excellence, la classe révolutionnaire.

Désaliénation idéale qui est l'idéal même du déshérité! (61)

Ainsi que le notait sadiquement un révolutionnaire russe de la fin du XIXe siècle, «toutes les richesses de l'Occident, tous les héritages nous manquent. Rien de romain, rien d'antique, rien de catholique, rien de féodal, rien de chevaleresque, presque rien de bourgeois dans nos souvenirs. Aussi, aucun regret, aucun respect, aucune relique ne peuvent nous arrêter.» «Chez les vieilles nations occidentales, écrivait le russe Herzen en 1860, le passé est aussi vivant que le présent... Nous sommes aussi indépendants dans le temps que dans l'espace. Nous n'avons ni souvenirs qui nous lient, ni héritage qui impose des devoirs. » (62)

Comme l'a fort bien vu encore M. Jean Daujat (63), «pour développer une volonté révolutionnaire totale, qui ne veuille rien conserver, qui veuille tout transformer et créer une société entièrement nouvelle, il fallait des hommes qui soient dépouillés de tout. Ce ne fut pas toujours le cas du pauvre ou de l'ouvrier... «Ainsi l'ouvrier des anciennes corporations a pu, à certaines époques, être très pauvre, mais il avait dans sa corporation un état de vie reconnu... II était, par là, enraciné dans l'ordre social. Il n'était pas un prolétaire...» (64)

«Or, pour le marxisme, tout ce qui est établi, tout ce qui a stabilité et durée est une abomination, parce qu'obstacle à l'action révolutionnaire. Ce dont le marxisme a besoin c'est précisément du prolétaire. Par le fait du libéralisme qui a supprimé toute institution professionnelle pour ne laisser subsister que des individus isolés entièrement libres (au sens révolutionnaire, autant dire déracinés). Seuls ceux qui possèdent des instruments de travail auront par là une certaine sécurité et un régime établi et durable de vie et de travail; les autres n'ont pour vivre que la force de leurs bras à louer à ceux qui possèdent les instruments de travail... Ils deviennent des prolétaires qui ne tiennent plus par rien à une société qui les ignore et qui ne fait que les utiliser... Ils seront donc vis-à-vis du monde existant dans un état de négation totale. C'est-à-dire qu'ils sont prêts à l'action révolutionnaire totale que cherche Marx.» Ainsi que l'a noté Rosenberg: «Marx ne partit point du prolétariat, de sa misère et de sa détresse, de la nécessité de libérer cette classe, pour aboutir à la conclusion que le seul moyen d'y parvenir est la révolution. II parcourt le chemin exactement inverse... CHERCHANT LES MOYENS PERMETTANT DE RÉALISER LA RÉVOLUTION, MARX TROUVE LE PROLÉTARIAT.»

Et c'est normal! Pour un marxiste conscient il ne saurait y avoir d'autre attitude.

Ecoutons Henri Lefèvre (65). «Le marxisme n'apporte pas un humanisme sentimental et pleurard. Marx ne s'est pas penché sur le prolétariat parce qu'il est opprimé, pour se lamenter sur son oppression... Le marxisme ne s'intéresse pas au prolétariat en tant qu'il est faible (ce qui est le cas des gens «charitables», de certains utopistes, des paternalistes sincères ou non) MAIS EN TANT QU'IL EST UNE FORCE.» (66)

Tout le marxisme est là!

Telle est l'optique marxiste! Ne croire à la vérité de rien mais savoir distinguer, ordonner, utiliser, mettre en branle la force de tout en vue de ce superdéferlement de puissance matérielle qui est la Révolution.

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Notes:

(58) Cf. l'étude qu'en a faite M. Baas dans Le matérialisme marxiste, p. 23, Alsatia, édit.: «En créant Dieu, l'homme s'est dépouillé de lui-même; il a attribué à Dieu une puissance et un pouvoir de maîtrise sur la nature qui, en fait, n'appartiennent qu'à l'homme lui-même. Ce dépouillement de l'homme par l'homme, au profit de l'idée de Dieu, s'appelle, en langue marxiste, «l'aliénation humaine». L'homme, dans la religion, aliène son pouvoir au profit de l'idée de Dieu... Il appartient à la critique marxiste de dénoncer cette illusion, de récupérer les forces humaines aliénées et de rendre l'homme à sa véritable destinée humaine.»

(59) «Tout ce qui existe mérite de mourir», Engels, cité par M. Daujat, Ibidem, p. 18.

(60) Marx donne pour programme à l'État communiste: «Augmenter au plus vite la quantité des forces productives». Cf. A. Lecœur, ministre communiste de la Production industrielle en 1946: (Discours à la préfecture de Metz, cité à l'Assemblée Nationale en 1949, Journal officiel du 18 fév. 1949, p. 741.)

«À l'heure actuelle, IL N'Y A PAS DE PROBLÈME HUMAIN. Il faut que les mineurs PRODUISENT COÛTE QUE COÛTE, même s'il faut que cent mineurs tombent sur le tas de charbon comme les soldats tombèrent à l'attaque pendant la guerre.»

(61) «En cent ans, écrivait Walter Rathenau, la Révolution française a fait le tour de la terre et s'est réalisée sans restriction. Aucun État, aucune institution, aucune société, aucune dynastie ne fut épargnée par elle...
«Dans un siècle le plan de l'Orient sera réalisé aussi complètement que l'est aujourd'hui celui de l'Occident. Après que, durant des siècles, notre planète a bâti, rassemblé, conservé, préservé, accumulé les trésors matériels et intellectuels, pour servir à la jouissance de quelques-uns, voici venir le siècle des démolitions, de la destruction, de la dispersion, du retour à la barbarie.

«Des ruines derrière nous, et des ruines devant nous; nous sommes une race de transition, destinée au fumier indigne de la moisson, écrivais-je au début de la guerre.

«Pourtant non seulement nous devons parcourir la route sur laquelle nous nous sommes engagés, mais nous voulons la parcourir... Nous n'allons pas vers un paradis, mais vers une humanité plus large, vers une DIGNITÉ NOUVELLE DE LA VIE ET DE L'EFFORT.» (Le Kaiser, p. 141-147.)
(62) Cité par M. Massis, Défense de l'Occident, édit. Plon, Paris.

(63) Opus. cit., p. 26 et 27.

(64) De même, pour le paysan attaché à sa terre par l'exploitation familiale. On verra au Document V du présent ouvrage l'acharnement des communistes chinois contre la paysannerie.

(65) Le marxisme. M. Henri Lefèvre, professeur contemporain, est un des théoriciens marxistes les plus réputés en France. Il a écrit de nombreux ouvrages.

(66) «La réforme agraire est une lutte systématique et farouche contre la féodalité... Son but n'est pas de donner des terres aux paysans pauvres ni de soulager leur misère, cela c'est un idéal de philanthropes, non de marxistes. Le partage des terres et des biens peut profiter aux paysans, ce n'est pas le but poursuivi. Le vrai but de la réforme agraire, c'est la LIBÉRATION DES FORCES du pays...» - Liou-Chao-tchi, secrétaire général du parti communiste chinois. Rapport du 14 juin 1960.

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