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Les Relations des Jésuites contiennent 6 tomes et défont le mythe du bon Sauvage de Jean-Jacques Rousseau, et aussi des légendes indiennes pour réclamer des territoires, ainsi que la fameuse «spiritualité amérindienne».

lundi, octobre 27, 2008

1 LES VICTIMES D'EXÉCUTIONS POLITIQUES

Une première catégorie de victimes directes du régime inclut les personnes condamnées à mort et exécutées pour des affaires relevant de la police politique, notamment de «contre-révolution», définies par les quatorze alinéas du célèbre article 58 du Code pénal. De 1921 à 1953, 4 060 000 personnes furent condamnées pour des affaires relevant de la police politique. Sur ce nombre, près de 800 000 furent condamnées à mort et exécutées.

La sentence, rendue le plus souvent par une «troïka» (à chaque niveau, le procureur local, le chef de la police politique et le secrétaire de l'organisation du Parti) ou par un «tribunal» composé de fonctionnaires de la police politique, à huis clos, sans défense de l'accusé ni appel, était immédiatement exécutoire. Au cours d'une seule séance, on décidait plusieurs centaines de condamnations à mort ou à une peine de camp - rarement inférieure à dix ans.

85 % des condamnations à mort furent prononcées au cours des années 1937 et 1938: plus de 680 000 personnes exécutées durant la «Grande Terreur», pour la plupart sur la base de «quotas d'exécution» fixés, région par région, par le Bureau politique, c'est-à-dire par Staline - le Bureau politique, organe exécutif du régime, n'étant qu'une chambre d'enregistrement des décisions prises par le «Guide». Ces «quotas», plusieurs fois révisés à la hausse - les autorités locales du Parti et de la police politique rivalisant d'émulation pour «dépasser le plan» -, étaient aisément remplis grâce au fichage de millions de personnes ayant, pour une raison ou une autre, attiré l'attention de la police politique.

Les recherches récentes sur la «Grande Terreur» de 1937-1938 ont ainsi infirmé deux idées encore largement répandues, à savoir que les dénonciations émanant de la société auraient permis un « emballement » de la répression (thèse développée avec complaisance par la direction stalinienne lorsque furent condamnés les « excès » de la répression); que les communistes et les cadres du Parti auraient été les principales victimes (thèse développée par Nikita Khrouchtchev dans son « rapport secret » au vingtième congrès du PCUS en février 1956 lançant la « déstalinisation »).

Très loin derrière 1937 et 1938, trois années connurent plus de 10 000 exécutions. Il s'agit de 1930 et 1931, années de la collectivisation* forcée et de la « dékoulakisation* », et de 1942, année de répression accrue dans le contexte de la guerre. La majorité des quelque 30 000 personnes exécutées en 1930-1931 étaient des koulaks de «première catégorie» - ceux des «deuxième» et «troisième» catégories furent déportés, et leurs biens confisqués (3). Cependant, on notera que, durant la majeure partie de la période considérée (27 années sur 33, de 1921 à 1953), le nombre annuel moyen des exécutions n'excéda pas quelques milliers.

Au stade actuel des recherches, plusieurs remarques s'imposent. Les données chiffrées du nombre d'exécutions, dévoilées en 1992, et qui proviennent d'un rapport préparé pour Khrouchtchev en janvier 1954, corroborées par un second rapport établi en 1963, passent sous silence certains épisodes.

On aura constaté, pour l'année 1940, l'omission évidente du contingent de 25 700 Polonais, officiers, fonctionnaires, policiers et autres « ennemis de classe » exécutés à la suite de l'ordre ultra-secret de Lavrentii Beria, commissaire du peuple à l'Intérieur, en date du 5 mars 1940. Faut-il expliquer cette «omission» par le fait que cette affaire particulièrement sensible, connue sous le nom d'«affaire de Katyn» (un des lieux où furent tués environ 4500 officiers polonais), faisait l'objet d'un «traitement particulier»?

Autre question: les chiffres, tels qu'ils apparaissent dans les rapports de 1954 et de 1963, reflètent la «comptabilité» tenue par les autorités centrales de la police politique; mais prennent-ils en compte ce que les tchekistes* (membres de la police politique) appelaient dans leur jargon les «excès», les «violations de la légalité socialiste» ou les «suppléments d'exécution non autorisés , dont on sait qu'ils eurent lieu, et qu'ils ne furent pas toujours rapportés à Moscou, notamment durant les années cruciales de la «Grande Terreur»?

Un seul exemple: prenons l'opération numéro 00 447 - la plus meurtrière des «opérations de répression» de ces années_là. On sait aujourd'hui que les «quotas» initiaux pour cette opération, fixés par le Bureau politique (c'est-à-dire, rappelons-le une fois encore, par Staline), le 30 juillet 1937, prévoyaient l'exécution, en quatre mois, de 72 950 individus classés en «première catégorie» - 186 500 individus, classés en «deuxième catégorie», devaient être condamnés à dix ans de camp.

Du 28 août au 15 décembre 1937, «à la demande des autorités régionales», le Bureau politique ratifia plusieurs «rallonges» d'un total de 22 500 personnes en première catégorie et de 16 800 personnes en deuxième. Le 31 janvier 1938, le Bureau politique adopta une nouvelle proposition du NKVD pour «une quantité complémentaire d'anciens koulaks, criminels et éléments antisoviétiques actifs à soumettre à répression» concernant 57 200 personnes (dont 48 000 en première catégorie). Une fois confirmés les nouveaux quotas, les dirigeants locaux demandèrent que l'on augmentât les chiffres et que l'on prolongeât l'opération. Du premier février au vingt-neuf août 1938, le Bureau politique ratifia une série de «contingents complémentaires» pour 90 000 personnes.

Mais il y eut des «compléments non ratifiés», comme en témoigne l'une des rares inspections menées, au niveau régional, après la fin de la «Grande Terreur» dans la petite République du Turkménistan. Les quotas d'exécutions, dans le cadre de l'opération numéro 00 447, fixés à 500 personnes pour cette République qui regroupait moins de 1 % de la population soviétique, furent « rallongés » à quatre reprises, pour atteindre un total «ratifié par le Bureau politique» de 3 225 individus «à exécuter».

Or, l'inspection menée fin 1938-début 1939 par des agents du NKVD révéla qu'au moins 4 037 personnes avaient été exécutées par le NKVD turkmène, soit 812 en sus des quotas autorisés. Cet exemple montre qu'à l'étape actuelle des recherches la plus grande vigilance s'impose quant aux données des rapports de 1954 et de 1963, fondés sur les statistiques centrales.

Pour les années 1937 et 1938, la marge d'erreur, selon les historiens étudiant ces questions, pourrait être de 10 % à 25 % en sus des statistiques centrales. On aboutirait ainsi à un chiffre global, pour la période 1921-1953, plus proche d'un million de victimes que des 800 000 aujourd'hui comptabilisées.


NOTE:

3. Les koulaks de première catégorie étaient des «koulaks engagés dans des activités contre-révolutionnaires»; ils devaient être soit fusillés soit condamnés à une peine de cinq à dix ans de camp. Les koulaks de deuxième catégorie, «des archi-exploiteurs qui ne pouvaient naturellement qu'aider la contre-révolution» devaient être déportés dans des régions reculées. Les koulaks, de troisième catégorie, qualifiés de «loyaux envers le régime», devaient être transférés dans les limites de leur région, «hors des zones prévues pour être collectivisées».




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