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Les Relations des Jésuites contiennent 6 tomes et défont le mythe du bon Sauvage de Jean-Jacques Rousseau, et aussi des légendes indiennes pour réclamer des territoires, ainsi que la fameuse «spiritualité amérindienne».

mercredi, juin 11, 2008

DEFINITION ET CLASSIFICATION DES MINORITES

DEFINITION ET CLASSIFICATION
DES MINORITES
(Mémorandum présenté par le Secrétaire général)
Nations Unies - Commission des droits de l'homme
Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités
Lake Success, New-York 1950
NOTE
Les documents de l'Organisation des Nations Unies portent tous une cote qui se compose de lettres majuscules et de chiffres. La simple mention d'une cote dans un texte signifie qu'il s'agit d'un document de l'Organisation.
E/CN.4/Sub.2/85
27 décembre 1949
PUBLICATIONS DES NATIONS UNIES
Numéro de vente: 1950.XIV.3



Table des matières
Chapitres Pages
I. INTRODUCTION 1
II. LA NOTION DE "MINORITÉ"
A. Groupes à étudier..... .....................2
B. "Collectivité" et "société".3
C. La nation en tant que collectivité....5
D. L'Etat en tant que société (organisation).6
E. Rapports entre la nation et l'Etat..................7
F. L'Etat, agent d'unification de la nation 7
G. L'Etat "national" 8
H. Le chevauchement des collectivités sociales...........9
I. Sens du mot "minorité".9
J. Désirs fondamentaux des minorités..10
K. Nationalisme et minorités..................10
L. Les différentes catégories de minorités 11
M. La question de la qualité de citoyen.........12
N. La minorité en tant que réalité sociale 13
O. Question de l'importance du groupe...............13
P. Question des conditions dans lesquelles la minorité a été incorporée à l'Etat.14
Q. Quelques autres problèmes 14
R. Résumé.15


Ill. CLASSIFICATION DES MINORITÉS
A. Note préliminaire 17
B. Critères de classification
1. Classification du point de vue quantitatif....17
2. Classification du point de vue de la proximité........18
3. Classification du point de vue de la nationalité. 18
4. Classification du point de vue du caractère national de l'Etat 19
5. Classification du point de vue de l'origine et de la situation par rapport à l'Etat.......................20
6. Classification selon les circonstances dans lesquelles la
minorité a été rattachée à l'Etat..........21
7. Classification du point de vue de l'inclusion totale ou partielle dans la juridiction territoriale de l'Etat.22
8. Classification selon les aspirations de la minorité..23
IV. OBSERVATIONS FINALES.....................................24
BIBLIOGRAPHIE.27

Chapitre premier
Introduction
1. Lors de sa deuxième session (13-27 juin 1949) la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités a adopté une résolution (E/CN.4/351, chapitre VI, résolution H) dans laquelle elle a décidé, entre autres, d'inscrire à l'ordre du jour provisoire de sa prochaine session le point suivant: définition et classification des minorités.
2. C'est pour faciliter l'examen de ce point de l'ordre du jour provisoire que le Secrétaire général soumet le présent mémorandum à la Sous-Commission. Il a pour objet de présenter de façon méthodique les principaux éléments dont on devra tenir compte lorsqu'on essaiera de définir ou de classifier les minorités. Il représente essentiellement un aperçu méthodique des conclusions auxquelles les sciences politiques et sociales ont permis d'aboutir au sujet des minorités et par conséquent il ne doit être en aucune façon considéré comme l'expression des vues du Secrétaire général en la matière.
3. Abordant la présente étude sous un angle purement théorique, on a automatiquement exclu l'examen de toutes les questions essentielles relatives à la "protection" des minorités, qui sont traitées ailleurs. Le choix même des exemples cités ne doit pas être interprété comme une expression de l'opinion du Secrétaire général sur la question de savoir quels groupes déterminés constituent ou non des minorités ou quelles mesures sont ou non souhaitables pour la protection des minorités.
Chapitre II
La notion de "minorité"
A. GROUPES À ÉTUDIER
4. A titre d'orientation provisoire, on rappellera que dans les temps modernes le terme "minorité" a été appliqué à des groupes plus ou moins distincts vivant à l'intérieur de l'Etat et dominés par d'autres groupes.
5. On peut établir une distinction fondamentale entre: a) les minorités dont les membres désirent l'égalité avec les groupes dominants et à ce titre demandent uniquement de ne pas faire l'objet de mesures discriminatoires; et b) les minorités dont les membres désirent l'égalité avec les groupes dominants et à ce titre demandent de ne pas faire l'objet de mesures discriminatoires et revendiquent en plus l'octroi de certains droits spéciaux et le bénéfice de certains services positifs.
6. Dans l'ensemble, les minorités de la catégorie a ne tiennent pas à conserver les caractéristiques qui les distinguent du groupe dominant, mais préfèrent être entièrement ou partiellement assimilées par le groupe dominant. Elles s'intéressent donc au premier chef à ce qu'il ne soit fait aucune distinction entre différents groupes, notamment en ce qui concerne les droits et libertés proclamés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme (voir article 2 de la Déclaration).
7. Les minorités de la catégorie b s'intéressent également à l'application du principe de non-discrimination. Elles estiment toutefois que même si ce principe est pleinement mis en œuvre, leur groupe ne se trouvera pas dans une position d'égalité réelle - mais seulement dans une position d'égalité formelle - par rapport au groupe dominant.
8. Les "services positifs" et les "droits particuliers" dont ces minorités estiment devoir bénéficier pour jouir d'une réelle égalité à l'intérieur de l'Etat varient considérablement; ils comprennent toutefois, en règle générale, un ou plusieurs des éléments suivants:
a) Fournir à la minorité un enseignement primaire et secondaire satisfaisant dans sa propre langue et conformément à ses traditions culturelles;
b) Assurer le maintien de la culture de la minorité par la création et la mise en service d'écoles, de bibliothèques, de musées, de moyens d'information et d'autres institutions culturelles et éducatives;
c) Fournir à la minorité des possibilités stisfaisantes d'employer sa langue, soit oralement, soit par écrit dans le corp législatif, devant les tribunaux et dans l'administration, et accorder à la minorité le droit d'utiliser sa langue dans la vie privée;
d) Faire respecter la loi familiale de la minorité et le statut personnel de ses membres, ainsi que ses pratiques et intérêts religieux;
e) Accorder à la minorité une certaine autonomie.
9. Les "services positifs" peuvent prendre une des deux formes suivantes:
a) Mesures réalisées aux frais de la minorité;
b) Mesures réalisées à l'aide des fonds et des moyens publics.
10. L'œuvre de protection des minorités de la catégorie a définie ci-dessus correspond en grande partie à la lutte contre les mesures discriminatoires (voir le mémorandum relatif aux formes et causes principales de la discrimination que le Secrétaire général a présenté à la Sous-Commission en tant que document E/CN.4/Sub.2/40).

11. La protection des minorités de la catégorie b définie ci-dessus correspond aussi dans une certaine mesure à la lutte contre les mesures discriminatoires. Mais elle présente des aspects complémentaires comme on l'a vu plus haut au paragraphe 8. Ces aspects peuvent varier de façon considérable selon les minorités considérées.
12. La présente étude est consacrée surtout aux minorités de la catégorie b, car il n'est pas essentiel de définir ou de classifier les "minorités" tant que l'application du principe de non-discrimination n'est pas assurée.
B. "COLLECTIVITÉ" ET "SOCIÉTÉ"

13. Au cours de l'étude de la notion de minorité, il sera utile d'examiner la nature de l'Etat par opposition à la nation, ainsi que les notions sociologiques de collectivité (Gemeinschaft) et société ou organisation (Gesellschaft).

14. En règle générale, le terme minorité s'applique à un groupe particulier qui est soumis à la juridiction d'un Etat. Toutefois, il existe aussi des minorités à l'intérieur de la nation qui constituent une partie différenciée de la nation.

15. Les relations entre la nation et l'Etat peuvent revêtir des formes diverses comme on le verra ci-dessous. Il arrive qu'une nation ait son Etat propre; il arrive également qu'elle soit divisée entre deux ou plusieurs Etats, ou qu'elle soit placée sous la juridiction d'un Etat multinational. Bien que nation et Etat soient des notions différentes, de nombreuses nations contemporaines résultent de l'action unificatrice de l'Etat.
16. Il y a lieu, lorsqu’on examine la définition de "nation", de prêter une attention particulière à la différence existant entre "collectivité" et "société" (ou "organisation") ainsi qu'à l'influence de l'Etat dans la constitution d'une nation.

17. La distinction entre collectivité et société qu'a établie Ferdinand Toennies dans son livre Gemeinschaft und Gesellschaft, en 1897, a été acceptée dans ses grandes lignes par la plupart des sociologues modernes, que ce soit avec une terminologie identique ou différente (par exemple, de nombreux sociologues anglo-saxons font une différence entre "collectivité" et "organisation", mais la signification qu'ils donnent à ce dernier mot correspond essentiellement à la notion de "société" chez Toennies).
18. Les "collectivités" sont des groupes fondés sur des facteurs spontanés d'unification (opposés aux facteurs artificiels ou qui sont les éléments d'un plan); ces facteurs (tels que le sang, la culture, la parenté, etc.) échappent essentiellement au contrôle des membres du groupe. Comme exemples de collectivités on peut citer les familles, les tribus, les personnes de même culture, etc. Les composants d'une collectivité sont unis par une affinité plutôt que par une décision prise par eux, de leur plein gré, d'établir un tel groupe. Les collectivités sont donc des aires de vie commune, déterminées de façon spontanée plutôt que par un acte de la volonté. Elles se forment là où des individus vivent groupés et acquièrent, dans une mesure plus ou moins grande, des caractéristiques distinctives communes telles que les usages, les traditions, les formes de langage, et les sentiments de solidarité. Toutefois, les collectivités, bien qu'impliquant l'existence d'une unité de sentiments, n'impliquent pas au même titre l'existence d'une unité biologique; elles ne constituent pas un état d'esprit collectif, mais plutôt un tissu de ressemblances et de nuances dans ce qui est commun et dans ce qui est divers parmi leurs membres.
19. Par contre, la société (ou l'organisation) est créée par l'action délibérée ou volontaire de ses membres qui s'associent pour entreprendre certaines activités. Une "société" est une organisation d'êtres sociaux ayant pour but de poursuivre un intérêt commun. Les exemples de sociétés sont fournis par les partis politiques, les institutions culturelles, les groupes constitués par contrats, les clubs sportifs, les sociétés de ~aractère économique, les Etats, etc.
20. La différence entre une collectivité, d'une part, et une société ou organisation, d'autre part, est très grande: c'est la différence existant entre la vie en groupe d'individus dont l'expression est une famille, une tribu, ou une nation, en la réunion d'individus dont l'expression est une université, un syndicat, ou un Etat. Une collectivité est plus vaste et plus libre que la plus grande des organisations. C'est un domaine plus large de vie commune duquel naissent des associations, auquel les associations apportent l'ordre, mais que les associations ne peuvent jamais complètement recouvrir. Car, alors que la collectivité est un tout, une société ou organisation ne peut être qu'une partie.
21. Une collectivité peut être une partie d'une autre collectivité plus grande. Une collectivité nationale, par exemple, peut comprendre divers types de communautés plus réduites, tels que différents groupes religieux ou linguistiques, classes sociales, et même, dans certains cas, des groupes culturels différents. La force du lien de collectivité varie avec le degré et l'intensité de la vie commune. Un individu est membre d'une petite collectivité à vie intense, telle que la famille; de plus, il appartient simultanément à une collectivité régionale, à une nation et à d'autres collectivités éventuellement plus vastes, telles que des groupes culturels. C'est ainsi que chaque individu se trouve pris dans une chaîne de contacts sociaux qui s'étendent au monde entier1.
C. LA NATION EN TANT QUE COLLECTIVITÉ
22. La nation est l'un des principaux types de collectivités - une collectivité qui a atteint un haut degré de maturité - auquel incombe un grand nombre d'activités et qui réunit non seulement un certain nombre d'individus, mais aussi un certain nombre de collectivités plus petites. Pourtant, la nation n'est pas une collectivité fondée sur des facteurs purement naturels (tels que le sang), ce n'est pas non plus une collectivité naturelle élargie (par exemple, une tribu), c'est plutôt le résultat d'un processus historique de fusion, grâce auquel plusieurs groupes autrefois différents et même relativement indépendants les uns des autres se sont agglomérés au point de s'unir par une solidarité profonde et active. La vie en commun a donné à ces groupes des habitudes, des coutumes, des traditions et une manière de vivre communes.

23. Naturellement une nation est plus qu'un groupe d'individus présentant une communauté d'habitudes, de coutumes, de traditions et vivant de la même manière. Pour que les individus forment une nation, il faut qu'ils se comportent de façon à exprimer leur volonté (consciente ou inconsciente) de vivre étroitement unis afin d'entreprendre, de poursuivre et de mener à bien en commun des actions qui leur paraissent répondre au destin historique du groupe national auquel ils appartiennent. Renan exprime cette idée en déclarant qu'une nation est "un plébiscite tacite et quotidien". D'autres sociologues, poussant un peu plus loin l'idée de Renan, ont ajouté que l'existence d'une tradition commune ne suffit pas à perpétuer la cohésion d'une nation: si cela suppose généralement des résultats acquis en commun et un passé commun, ce qui en fait vraiment la réalité c'est le sens d'un objectif commun pour le présent et pour l'avenir. Cette "solidarité active" n'existe que si tous les individus et tous les groupes qui constituent la nation sont unis en vue de l'accomplissement d'une tâche commune à laquelle tous s'intéressent.


E. RAPPORTS ENTRE LA NATION ET L'ETAT
28. En dépit des différences fondamentales qui existent entre la nation et l'Etat et que nous avons signalées ci-dessus, l'Etat a souvent joué un rôle important dans la création de la nation. A cet égard, la fonction de l'Etat a été d'exprimer en même temps que d'encourager le progrès de cette solidarité active qui est si nécessaire à la croissance d'une nation. Pourtant, si l'Etat constitue un élément essentiel de l'ensemble de la structure sociale comprise dans la nation, il ne constitue jamais la totalité de cette structure. Certains genres d'activité sociale demeureront toujours en dehors de la compétence de l'Etat. Cette distinction est inséparable de l'idée selon laquelle la loi ne doit réglementer que certains types d'activité humaine et non l'ensemble de cette activité.
29. Il existe "des Etats nationaux" dans lesquels l'Etat coïncide dans une très large mesure avec la nation. Il existe aussi des Etats dans lesquels plusieurs nations ont été fusionnées; dans ce cas, l'Etat peut contribuer: a) à développer entre tous les individus et tous les groupes qui constituent la nation un sentiment de solidarité; et b) à créer une nation entièrement nouvelle et plus vaste.
30. A l'époque moderne, la plupart des nations sont constituées en Etats et la plupart des Etats représentent l'organisation juridique d'une seule nation. Cela est vrai même dans le cas d'Etats formés de groupes qui suivent, du point de vue culturel, des traditions fort différentes. Toutefois, il y a d'autres rapports possibles entre la nation et l'Etat, rapports dont il convient de tenir compte: tel est, par exemple, le cas d'un Etat qui comprend deux ou plusieurs nations, d'une nation qui fait partie d'un Etat, mais dont la culture rappelle celle d'un autre, d'une nation partagée entre deux ou plusieurs Etats, etc.
F. L'ETAT, AGENT D'UNIFICATION DE LA NATION
31. Comme on l'a souligné plus haut, l'Etat est souvent un important facteur d'unification pour la création. d'une nation. On pourrait citer beaucoup d'exemples d'Etats composés à l'origine de plusieurs nations différentes, qui ont réussi après un certain temps à créer une collectivité nationale plus vaste et, dans bien des cas, sans éliminer les diverses caractéristiques culturelles des groupes passés sous l'autorité de l'Etat. Dans certains de ces cas, l'Etat a réussi à édifier, avec les individus et les groupes placés sous son autorité, une nation nouvelle et plus vaste.
32. L'Etat "national" est formé soit par une seule nation existant antérieurement, soit par la fusion réussie en une seule de plusieurs nations préexistantes. L'Etat "multinational", par contre, est formé de deux ou plusieurs nations existant en tant que communautés différentes, dont chacune a conscience de son individualité propre et désire la conserver.

24. Un grand nombre de nations ont la même langue, la même origine, la même culture, la même religion, ou les mêmes coutumes et traditions popuJaires. Mais, dans beaucoup d'autres nations, il existe un nombre appréciable d'individus et de groupes qui diffèrent par leur langue, leur origine, leur culture, leur religion, leurs coutumes et leurs traditions populaires. Une nation appartenant à cette deuxième catégorie n'en est pas moins une nation: c'est en effet ce que les individus et les groupes dont elle est composée ont en commun plutôt que ce qu'ils ont de pareil qui fait naître cette impression d'appartenir à une même collectivité, de participer à un même destin et de tendre vers l'accomplissement d'une même tâche, tout cela constituant les éléments essentiels de la nation.
D. L'ETAT EN TANT QUE SOCIÉTÉ (ORGANISATION)
25. Strictement parlant, un Etat est à la base une organisation juridique. Alors que la nation sert plus ou moins de cadre à toutes les actions humaines, l'activité de l'Etat se limite à certains aspects précis du comportement humain.

26. La plupart des sociologues et des spécialistes des Sciences politiques considèrent l'Etat comme une société ou une organisation pour les raisons suivantes:
a) Ses institutions sociales ne se sont pas formées spontanément, mais elles ont été consciemment et délibérément construites;
b) L'influence de l'Etat ne s'étend pas à un nombre illimité de genres d'activités, mais est limitée à la réglementation juridique d'une certaine conduite; et
c) L'Etat présente un caractère d'obligation, c'est-à-dire que tous les individus d'un territoire donné subissent son action, qu'ils le veuillent ou non.
27. L'Etat constitue un élément essentiel, mais jamais la totalité de la structure sociale comprise dans la nation. Il possède des attributs, des instruments et des pouvoirs qui lui sont propres. 11 est caractérisé au premier chef par cet instrument particulier: la loi, qui suppose un pouvoir coercitif. Selon certaines autorités, l'Etat n'est autre chose qu'un système juridique en vigueur - un régime normatif et coercitif. L'Etat dispose du monopole de la coercition et s'impose à tous les individus et à tous les groupes sociaux qui vivent sur son territoire. Il est parfois considéré, sous un angle plus vaste, comme constituant l'ensemble du processus social qui établit, défend et applique la loi. Toutefois, quel que soit le point de vue auquel on se place, c'est la loi qui détermine les domaines dans lesquels s'exerce l'activité de l'Etat.

33. On peut diviser les Etats "multinationaux" en deux catégories principales: a) ceux où l'Etat reflète la culture de la nationalité dominante, alors que les autres nationalités sont considérées comme des minorités; et b) ceux qui ne reflètent pas la culture d'une nationalité dominante, mais sont neutres à l'égard des diverses nationalités soumises à leur juridiction. Dans le cas des Etats de cette dernière catégorie, il est impossible de parler de majorité ou de minorité nationale, si ce n'est du point de vue purement numérique; on ne peut parler que de groupes nationaux différents. Dans le cas des Etats multinationaux, où les diverses nations constituantes sont loyales envers l'Etat, il en résulte souvent une communauté nationale plus vaste, qui coexiste avec les premières.
34. Il convient de se souvenir que les catégories mentionnées au paragraphe ci-dessus ne sont pas rigides, mais sont dans bien des cas relativement mouvantes.

G. L'ETAT "NATIONAL"
35. L'Etat "national" n'est pas une forme de société que l'homme trouve toute faite. Il doit au contraire l'édifier consciemment. C'est une forme de société tout à fait différente de la tribu ou de la famille, fondées sur la consanguinité, et formées presque sans conscience ni effort de la part des individus. Comme le souligne Ortega y Gasset2:
"Avant la naissance de l'Etat national, il existe divers groupes plus restreints. Toutefois, après cet isolement, il se développe une vie commune "extérieure" entre ces groupes. Dans chaque groupe, l'individu ne vit plus seulement dans son propre milieu, mais une partie de sa vie est reliée à des individus ou d'autres groupes avec lesquels il entretient des rapports commerciaux ou intellectuels. Dans cette situation, le principe de l'Etat est le mouvement qui tend à annihiler les formes sociales d'isolement et à leur substituer une forme sociale appropriée à la nouvelle vie, déjà vécue extérieurement. L'Etat est un plan d'action et un programme de collaboration. ,L'Etat n'est ni une consanguinité, ni une unité linguistique, ni une unité territoriale. L'Etat est une entreprise sociale dynamique·."
En d'autres termes, l'Etat est souvent à la base d'entreprises plus importantes que celles qui sont possibles aux groupements de consanguinité. Par exemple ce n'est ni une communauté antérieure de sang, ni une unité linguistique qui a permis la vie commune d'hommes sous la souveraineté d'une autorité publique que nous connaissons aujourd'hui sous le nom d'Angleterre ou de France; l'homogénéité relative dont ces pays jouissent aujourd'hui est le résultat de l'unification politique antérieure par l'Etat de plusieurs groupes nationaux.



H. LE CHEVAUCHEMENT DES COLLECTIVITÉS SOCIALES
36. Il résulte des considérations précédentes qu'il y a des collectivités de toute espèce qui diffèrent par le nombre d'individus qu'elles comprennent, le nombre d'activités auxquelles elles se livrent, ainsi que l'intensité et l'ampleur des sentiments de solidarité. Les diverses collectivités n'existent pas séparément en marge les unes des autres. En fait, dans bien des cas, ces collectivités se chevauchent; un individu peut sentir qu'il appartient en même temps à une famille, à une agglomération, à une région, à une nation, à une certaine partie du monde, et même à une collectivité plus large et plus vaguement définie, comme l'ensemble des peuples de langue espagnole, des peuples de langue anglaise ou des peuples de civilisation occidentale. De même une nation n'est pas constituée seulement d'individus et de groupes qui pensent, sentent et agissent exactement de la même manière, mais comprend normalement en son sein beaucoup d'autres collectivités d'importance et de genres variés, tels que familles, agglomérations, classes sociales, groupes culturels, groupes géographiques, etc. Ces différentes collectivités, non seulement se mêlent au sein de la nation, mais s'imbriquent également les unes dans les autres. En outre, certaines de ces collectivités peuvent être situées en partie à l'intérieur de la nation et en partie à l'extérieur: c'est le cas de beaucoup de collectivités religieuses, culturelles et linguistiques.

I. SENS DU MOT "MINORITÉ"
37. Il découle de l'analyse précédente sur la collectivité, la nation et l'Etat que, dans la pratique, on ne peut se contenter de définir le terme "minorité" en donnant au mot son sens littéral. Il faudrait en effet alors qualifier de minorités presque toutes les collectivités qui existent au sein d'un Etat, notamment les familles, les classes sociales, les groupes culturels, les personnes parlant des dialectes, et d'autres groupes analogues. Une telle définition n'aurait aucune utilité.

38. En fait, le terme "minorité" s'emploie fréquemment de nos jours dans un sens plus restreint; il est d'usage maintenant de l'appliquer principalement à une catégorie particulière de collectivité - collectivité nationale ou similaire en particulier - qui diffère du groupe prédominant vivant dans l'Etat. Une telle minorité peut s'être formée d'une des façons suivantes:
a) Elle pouvait constituer antérieurement une nation indépendante organisée en Etat distinct (ou une organisation tribale plus ou moins indépendante);
b) Elle pouvait faire partie antérieurement d'une nation organisée en Etat distinct et avoir été par la suite séparée de cet Etat et annexée à un autre;
c) Enfin, elle pouvait constituer autrefois, ou peut-être encore, un groupe régional ou dispersé qui, s'il est lié par certains sentiments de solidarité au groupe prédominant, n'a pas été réellement assimilé, même au plus faible degré, par celui-ci.
39. Si, d'un point de vue scientifique, il est difficile de donner une définition vraiment précise du terme "minorité", étant donné qu'il englobe de multiples éléments dont la portée et l'intensité sont plus ou moins grandes, on peut toutefois dire que, dans son emploi le plus fréquent, tout au moins en matière de sciences politiques, il désigne des collectivités présentant certaines caractéristiques (ethniques, linguistiques, culturelles, religieuses, etc.) et, presque toujours, des collectivités ayant un caractère national. Les membres d'une minorité ainsi définie ont le sentiment qu'ils constituent un groupe ou un sous-groupe national qui diffère de l'élément prédominant. Il peut se faire cependant que les membres de minorités uniquement religieuses considèrent qu'ils appartiennent au groupe national prédominant. Si les membres d'une minorité estiment normalement qu'ils diffèrent du groupe prédominant, il n'en faut pas forcément conclure qu'il n'existe pas une nation plus large constituée par la minorité (ou les minorités) et le groupe prédominant, sous l'autorité de l'Etat. Il se peut même que, malgré la différence entre la minorité et le groupe prédominant, les deux groupes soient liés par un sentiment de nationalité qui est plus étendu, quoique moins profond au point de vue de la conscience nationale, que celui de l'un ou de l'autre des deux groupes pris séparément.
J. DÉSIRS FONDAMENTAUX DES MINORITÉS
40. Certaines minorités ont le sentiment qu'elles constituent une nation réelle, différente de celle du groupe prédominant et différente également de celles des autres minorités qui peuvent exister dans l'Etat. D'autres minorités ne se considèrent que comme des groupes régionaux ayant des caractéristiques particulières qui les distinguent. Certaines minorités désirent obtenir l'autonomie alors que d'autres voudraient seulement maintenir vivantes les caractéristiques particulières (langue, culture, etc.) qui les distinguent du groupe dominant. Le sens de solidarité de certaines minorités à l'égard de leurs co-nationaux s'intensifie lorsqu'elles sont placées sous la juridiction d'un autre Etat et n'acceptent alors d'autorité de ce nouvel Etat qu'à condition d'être autorisées à conserver les caractéristiques particulières qui les distinguent et à continuer à vivre à leur manière par l'octroi d'un régime d'autonomie.

K. NATIONALISME ET MINORITÉS

41. Le nationalisme moderne a affecté les minorités de façons diverses et parfois opposées. Dans certains pays, il a facilité l'assimilation des minorités par le groupe prédominant, déterminant ainsi une homogénéité réelle. Dans d'autres, par contre, il a amené les minorités à prendre conscience des caractères qui les différencient et suscité même, dans certains cas, l'antagonisme de la minorité. Lorsque les différences étaient relativement peu marquées, le nationalisme a eu un effet unificateur (ce fut le cas en France, en Italie et en Allemagne); lorsqu'elles étaient relativement importantes (c'est le cas de l'Autriche-Hongrie), le nationalisme a conduit la minorité à prendre de plus en plus conscience de son état.

42. Le nationalisme doit beaucoup à la démocratisation des sociétés et à la croissance de l'esprit démocratique. A partir du moment où les masses ont accédé à la vie politique et à l'éducation, elles ont pris conscience de leurs caractéristiques et de leur culture nationales. Les principes démocratiques prônaient en effet le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Par contre, certaines formes de romantisme, notamment le romantisme allemand dans sa philosophie sociale, ont créé un nationalisme poussé à l'extrême. La nationalité était considérée comme une chose sacrée, comme un organisme spirituel vivant engendré par la Providence au cours des siècles et l'on donnait une grande importance à la "langue maternelle", Cette philosophie a accentué chez certains groupes le sentiment national et les a amenés à s'intéresser à nouveau au maintien de leur propre langue et de leurs usages particuliers. Ils ont dès lors réclamé l'acceptation de leurs langues dans l'administration publique et ils ont encouragé une renaissance littéraire dans leurs propres idiomes, Tout cela a conduit certains groupes à prendre mieux conscience des éléments qui les différencient du groupe prédominant. Dans certains cas, le nationalisme a eu pour résultat des mouvements irrédentistes. En outre, le nationalisme exagéré et même oppressif du groupe prédominant a parfois amené la minorité à réagir violemment.

L. LES DIFFÉRENTES CATÉGORIES DE MINORITÉS

43. Le Secrétaire général a déjà signalé à la Sous-Commission (E/CN.4/Sub.2/6) que, sous le système de protection des minorités de la Société des Nations, seules étaient protégées les minorités "de race, de religion et de langue"; celles-ci étaient considérées comme ayant un caractère plus ou moins objectif et stable. On estimait que la formule "minorités de race, de religion et de langue" se rapportait à tous les groupes de cette nature quelle que fût leur importance numérique. Dans plusieurs instruments, certaines catégories de minorités étaient nommément désignées, surtout lorsque l'on voulait leur garantir expressément des usages ou des privilèges traditionnels auxquels elles attachaient un intérêt particulier; il n'en faut toutefois pas conclure que la formule générale "minorités de race, de religion et de langue" ne s'appliquait pas à ces groupes ou que le même système de protection ne leur était pas applicable. A cet égard, il convient de noter que, dans un instrument très récent concernant la protection des minorités, l'accord austro-italien du 5 septembre 1946, on trouve les termes suivants: "habitants de langue allemande", "citoyens de langue allemande" et "éléments de langue allemande".
44. On considérait qu'en général, la formule "minorités de race, de religion et de langue" était employée du fait que ces caractéristiques étaient considérées (à l'exception peut-être de la religion) comme constituant les principaux signes extérieurs d'une collectivité nationale. Toutefois, le sens que l'on donnait au mot "minorité" n'était pas alors, non plus que maintenant, limité aux groupes qui constituent les collectivités nationales; il comprenait et comprend encore également des groupes unis soit par une même religion, ou une même langue ou une même origine ethnique, soit par deux de ces caractéristiques, soit par toutes les trois ensemble, même dans le cas où ils ne constituent pas des collectivités nationales. Ces groupes ne cherchent pas tant à maintenir leur existence nationale séparée de celle du groupe prédominant que de garder vivantes la langue, la culture, la religion ou les traditions qui leur sont propres.

45. Donc, de façon générale, en ce qui concerne l'octroi de services réels et la reconnaissance de droits spéciaux - à distinguer de la réalisation du principe de non-discrimination - on peut dire que le mot "minorité" devrait normalement s'appliquer aux groupes dont les membres ont une origine ethnique, une langue, une culture ou une religion communes et cherchent à préserver soit leur existence en tant que collectivité nationale, soit les caractéristiques particulières qui les distinguent. A cet égard, il ne faudrait pas oublier qu'aux termes de son mandat, la Sous-Commission doit entreprendre des études et adresser des recommandations au sujet de "la protection des minorités raciales, nationales, religieuses et linguistiques".

M. LA QUESTION DE LA QUALITÉ DE CITOYEN

46. Aux termes de l'article 2 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, "chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune..." On notera cependant que l'article 21 de la Déclaration parle du droit de chaque personne de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays et d'accéder, dans des conditions d'égalité, aux fonctions publiques de son pays; la Déclaration reconnaît donc que certains droits politiques légitimes ne peuvent être accordés qu'aux citoyens.
47. Dans le cas des minorités qui désirent n'obtenir l'égalité qu'au point de vue de la non-discrimination, la question de la qualité de citoyen n'entre donc pas en ligne de compte à l'exception du point noté au paragraphe précédent. Toutefois, dans le cas de minorités qui désirent obtenir des services positifs spéciaux ou la reconnaissance de droits spéciaux afin de préserver les caractéristiques particulières qui les distinguent, la question de la qualité de citoyen a une importance primordiale, car on peut difficilement concevoir qu'un Etat accorde à des groupes d'étrangers ces services positifs spéciaux ou ces droits spéciaux sauf s'il en est requis par une règle de droit international. Il faut se rappeler par ailleurs que l'un des droits pour lesquels les minorités ont lutté avec le plus de persistance est le droit pour leurs membres d'obtenir la qualité de citoyen du pays où elles vivent.

N. LA MINORITÉ EN TANT QUE RÉALITÉ SOCIALE

48. Le terme "minorité" est particulièrement difficile à définir du fait que les minorités sont des réalités sociales dynamiques, plutôt que statiques, et qu'elles changent par suite de l'évolution des circonstances. Ainsi, un grand nombre de sociologues et de spécialistes des sciences politiques ont fait remarquer qu'un groupe minoritaire satisfait de ses rapports avec le groupe dominant tend à être de plus en plus assimilé par lui. Par contre, ils ont également remarqué que, si les membres d'un groupe minoritaire ont l'impression que la loi que leur impose le groupe dominant les empêche de conserver leurs caractères distinctifs ou entrave leurs aspirations d'avenir, les rapports entre ce groupe et le groupe dominant ont tendance à devenir de plus en plus tendus.
49. La satisfaction que manifeste la minorité peut dépendre, mais ne dépend pas nécessairement, du degré d'autonomie et de protection que lui accorde l'Etat. Certains Etats ont réussi à provoquer une assimilation volontaire et progressive de solidarité à l'égard du sort de cet Etat et des formes de vie qu'il incarne. D'autres Etats ont abouti à des résultats absolument contraires en essayant d'assimiler la minorité. D'autres Etats enfin, ont réussi, en accordant à la minorité la protection qu'elle désirait, à faire naître chez elle un sentiment de solidarité à l'égard du groupe dominant, si bien qu'un Etat national s'est formé en dépit des différences de tradition, de langue, de culture, etc. En accordant à la minorité un traitement équitable et certaines libertés, il est possible d'atténuer son hostilité à l'égard du groupe dominant et de faciliter son assimilation en rendant ses relations avec ce groupe plus étroites. Si le groupe dominant professe un idéal susceptible de gagner l'appui de la minorité, il en résulte souvent une assimilation.

O. QUESTION DE L'IMPORTANCE DU GROUPE

50. D'un point de vue purement théorique, un groupe, si petit soit-il, qui présente les différents caractères indiqués ci-dessus, devrait être considéré comme une minorité. Dans la pratique, toutefois, on ne désigne sous le nom de minorités que les groupes qui représentent une proportion appréciable de la population d'un Etat. Mais cela n'empêche pas d'étendre à tout individu d'un tel groupe le principe de non-discrimination.
51. D'un point de vue purement théorique également, il conviendrait de considérer comme des minorités même les groupes qui ont principalement intérêt à s'assimiler au groupe dominant. Toutefois, du fait que les problèmes qu'ils posent relèvent entièrement de la lutte contre la discrimination, il n'y a pas lieu en pratique de les considérer comme appartenant à la catégorie définie par le terme "minorité".
P. QUESTION DES CONDITIONS DANS LESQUELLES LA MINORITÉ A ÉTÉ INCORPORÉE À L'ETAT

52. L'Etat doit assurer, pour tout individu habitant son territoire, et quelles que soient les circonstances, le respect des droits de l'homme. Mais il est généralement admis que le point de savoir si une minorité a droit ou non au bénéfice de certains services positifs ou de certains droits spéciaux dépend dans une certaine mesure des conditions dans lesquelles cette minorité a été incorporée à l'Etat.


Q. QUELQUES AUTRES PROBLÈMES

53. Parmi les autres problèmes qui touchent de près à la définition du terme minorité, il en est deux qui méritent de faire ici l'objet d'une étude particulière.
54. La première question est celle de l'appartenance d'un individu à une minorité. Faut-il considérer comme membre d'une minorité religieuse un individu qui ne pratique pas lui-même de religion? Comment considérer la personne qui a plusieurs langues maternelles? Ou celle dont l'origine ethnique est mêlée? La plupart de ceux qui ont étudié cette question estiment que la décision personnelle de l'intéressé doit être le facteur décisif; que chacun doit être en mesure de décider volontairement s'il appartient ou non à une minorité donnée. Qui plus est, cette conclusion est renforcée par une disposition d'un instrument international: la Convention signée à Genève, le 15 mai 1922, entre la Pologne et l'Allemagne et qui dispose, à l'article 74:
"La question de savoir si une personne appartient ou non à une minorité de race, de langue ou de religion ne peut faire l'objet d'aucune vérification ni d'aucune contestation par les autorités."
La Cour permanente de Justice internationale, dans son jugement du 26 avril 1928, a interprété le sens de cet article de la manière suivante:
"La Cour estime que l'interdiction de toute vérification ou contestation ne cesse pas d'être applicable dans les cas où il apparaît que la déclaration n'est pas conforme à la vérité... si une déclaration a été faite, il faut toujours la respecter...3"

55. La deuxième question est celle de savoir si les mesures spéciales de protection accordées à une minorité constituent des droits individuels ou des droits collectifs. La réponse varie selon que l'Etat en question a ou non reconnu la personnalité morale de la minorité. S'il l'a reconnue, il existe deux catégories de droits: ceux que la minorité, en tant que personne morale, représentée par ses organes légaux, peut faire valoir auprès de l'Etat, et ceux que les membres de cette minorité peuvenl faire valoir du fait qu'ils appartiennent à celle-ci. Si, par contre, l'Etat n'a pas reconnu la minorité comme personne morale, mais lui a simplement accordé des facilités pour lui permettre de préserver ses caractères distinctifs, les droits qui en découlent ne peuvent être invoqués que par les individus du fait qu'ils appartiennent à cette minorité et non par la minorité en tant que telle.
56. Enfin, il reste la question de savoir s'il est obligatoire ou facultatif pour la minorité d'user des facilités particulières qui lui sont données pour préserver ses caractères distinctifs. Tout le monde s'accorde à reconnaître qu'il est facultatif et non obligatoire d'user de ces facilités. Ainsi, si un individu appartenant à une minorité préfère les écoles du groupe prédominant, il doit être libre de les fréquenter sans discrimination d'aucune sorte. Toutefois, on se souviendra qu'il existe certaines exceptions à cette règle générale. Nous en citerons un seul exemple: la province de Moravie, ancienne province autrichienne, incorporée par la suite à la Tchécoslovaquie, avait, depuis 1906, un statut provincial disposant qu'un enfant d'âge scolaire devait fréquenter une école où l'enseignement était donné en une langue correspondant à sa nationalité. La loi prévoyait donc que les enfants appartenant au groupe ethnique tchèque devaient fréquenter les écoles tchèques et non les écoles allemandes et que les enfants allemands devaient fréquenter les écoles allemandes et non les écoles tchèques.
57. Les avis sont partagés en ce qui concerne la meilleure solution à apporter au problème créé par l'existence des minorités. Cette diversité d'avis provient des caractères très différents que présentent les différents Etats et des diverses conceptions du but à atteindre: assimilation, ou, au contraire, préservation des caractères distinctifs des groupes particuliers. Cette diversité d'attitudes et d'opinions ressort clairement des comptes rendus analytiques des travaux de la Commission des droits de l'homme (voir notamment les documents E/CN.4/AC.2/SR.9 et E/CN.4/SR.73) et de la Troisième Commission de l'Assemblée générale (A/C.3/SR.161, 162 et 163).

R. RÉSUMÉ

58. Il semblerait que les minorités ayant droit à certains services positifs et à certains droits spéciaux sont uniquement des groupes de citoyens rapprochés par une communauté d'origine, de langue, de culture, de religion, etc., qui se sentent différents à ces égards du reste de la population, et désirent conserver ou accentuer encore leurs caractères distinctifs.
59. Il est possible que les minorités, se fondant sur la conscience qu'elles ont de leurs différences, présentent certaines revendications politiques. Dans tous les cas, elles désirent jouir des droits de l'homme sans discrimination. En outre, il peut arriver qu'elles désirent l'appui positif de l'Etat pour la conservation de leurs caractères distinctifs, ou qu'elles aspirent à une autonomie partielle ou totale, ou même qu'elles souhaitent se séparer de l'Etat. Ces aspirations sont généralement fondées sur les conditions dans lesquelles s'est effectué leur rattachement à l'Etat, et les arrangements conclus à cet effet. Il n'est pas douteux que toute minorité, quelle qu'elle soit, peut revendiquer l'application du principe de non-discrimination étant donné que ce principe est proclamé sans aucune ambiguïté dans la Charte des Nations Unies et dans la Déclaration universelle des droits de l'homme. Quant à la question du droit pour certaines minorités déterminées à réclamer des mesures de protection supplémentaires, c'est là une question d'ordre politique qui normalement doit être tranchée compte tenu des conditions dans lesquelles la minorité a été rattachée à l'Etat et des arrangements conclus à cet effet, ainsi que de toute autre circonstance pertinente. Il semblerait donc que toute demande de ce genre doive faire l'objet d'une étude et d'une décision particulières.


l Voir Community de McIver.
2 La révolte des masses.
* Traduction non officielle.
3 Jugement No 212, Cour permanente de Justice internationale, série A, No 15 26 avril 1928.





Chapitre III
Classification des minorités
A. NOTE PRÉLIMINAIRE
60. Les minorités diffèrent à tant d'égards (origine historique, importance numenque, aspirations, etc.) qu'il n'est pas possible de les grouper en une seule classification générale. Il faut prévoir de nombreuses classifications, fondées sur des critères différents. Nombre de ces classifications se chevauchent ou se complètent. Il faut donc, pour caractériser exactement une minorité donnée, l'étudier en tenant compte de chacune de ces diverses classifications avant de parvenir à une conclusion définitive.
B. CRITÈRES DE CLASSIFICATION
1. Classification du point de vue quantitatif
61. Au point de vue quantitatif, on peut faire la classification des minorités selon le nombre des individus qu'elles comprennent par rapport à l'importance numérique du groupe prédominant ou par rapport à celle du reste de la population. Normalement, le terme minorité implique une certaine notion numérique: il désigne en général un nombre d'individus plus faible que celui du reste de la population. Toutefois, il est des cas où la majorité numérique de la population, qu'elle soit homogène ou composée de groupes différenciés, est dans la situation d'une minorité, l'Etat étant dominé par un groupe numériquement plus faible qui impose sa propre langue, sa culture, etc.

62. D'un point de vue sociologique abstrait, aucun chiffre ou pourcentage particulier d'individus n'est nécessaire pour qu'il existe une minorité. Même les membres de la minorité la moins nombreuse, comme on l'a déclaré plus haut, ont droit à un traitement non discrimi· natoire, particulièrement en ce qui concerne les droits et libertés éononcés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme. Toutefois, une minorité considérée comme groupe pouvant jouir de services positifs spéciaux ou de droits spéciaux doit normalement comporter des personnes en nombre suffisant pour lui donner ses traits particuliers. Bien qu'il ne soit pas possible de fixer un chiffre précis, il semble gue, pour des raisons administratives, on ne considérerait pas qu'une minorité composée d'un nombre très faible de personnes peut jouir de services positifs spéciaux ou de droits spéciaux.


2. Classification du point de vue de la proximité
63. Dans certains cas, la population d'une région donnée est presque uniquement composée de personnes appartenant à une minorité. Dans d'autres cas, la minorité se partage, dans une mesure plus ou moins grande, une région ou zone avec le groupe prédominant. Dans d'autres cas encore, la minorité est disséminée sur tout le territoire, ou sur une grande partie de ce territoire, avec le groupe prédominant, et dans certains cas avec d'autres minorités.
64. Si l'on s'appuie sur le critère de la proximité, on peut distinguer les catégories de minorités suivantes:
a) Minorité constituant effectivement ou approximativement toute la population d'un secteur du pays;
b) Minorité constituant la plus grande partie de la population d'un secteur du pays;
c) Minorité établie dans un secteur du pays et qui ne constitue qu'une faible partie de la population de ce secteur;
d) Minorité dont certains membres vivent dans un secteur du pays et d'autres sont disséminés sur tout le reste du territoire;
e) Minorité établie dans plusieurs secteurs différents du pays, mais dans des proportions différentes pour chaque secteur;
f) Minorité disséminée sur tout le territoire du pays;
g) Minorité disséminée sur une grande partie du territoire du pays, mais non sur la totalité de ce territoire;
h) Minorité qui habite en partie dans le pays et en partie en dehors de ce territoire.
65. Les membres de chacune de ces catégories de minorités ont bien entendu droit à un traitement non discriminatoire, particulièrement en ce qui concerne les droits et libertés énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme.

66. Toutefois, toutes mesures particulières prises pour la protection de certaines minorités, à l'exception des mesures de lutte contre le traitement discriminatoire, sont nécessairement appelées à varier dans chacun des cas concrets énumérés ci-dessus afin de faire face aux problèmes différents que présentent ces divers types de minorités.


3. Classification du point de vue de la nationalité
67. Du point de vue sociologique, les éléments d'une minorité dans un pays déterminé peuvent être constitués soit par des individus qui ont la nationalité du pays, soit par des étrangers. Le premier cas est l'exemple classique, c'est aussi le plus important. Le second est plus rare, mais un exemple en est fourni par le Canton de Genève où, au début du vingtième siècle, des éléments étrangers (principalement français et italiens) constituaient une minorité nombreuse.

68. Des points de vue politique et juridique, les éléments étrangers ne sont qu'exceptionnellement considérés comme une minorité ayant droit à un régime particulier.

69. Le cas des étrangers est très différent de celui des éléments d'une minorité qui possèdent la nationalité du pays dans lequel ils vivent. Les étrangers sont venus volontairement résider dans le pays et ils possédaient une nationalité étrangère lors de leur arrivée. Il peut s'agir d'individus qui sont venus s'établir dans le pays pour s'occuper de leurs affaires ou dans tout autre but de leur choix et qui, au moment où ils sont arrivés, n'avaient aucun désir de changer de nationalité. Il peut s'agir d'ouvriers dont le recrutement a été organisé et qui sont venus travailler dans un pays où les disponibilités de main-d'œuvre nationale sont insuffisantes. Il peut s'agir aussi de migrants qui sont venus s'installer dans le pays, qui leur accordera la nationalité après un délai plus ou moins long.

70. Tant que l'étranger appartient à l'une de ces catégories et conserve son statut étranger, il jouit de tous les droits accordés par le droit international coutumier aux personnes se trouvant dans des pays autres que le leur. Il possède également tous autres droits spéciaux qui lui ont été conférés par traité (traités de commerce ou traités d'établissement). Il peut être stipulé, par exemple, que les enfants d'ouvriers étrangers auront droit à recevoir l'enseignement dans leur langue nationale dans des écoles spéciales.

71. Dès que l'étranger qui est venu avec l'intention de s'installer dans un pays, y est naturalisé et dès que ses enfants reçoivent la nationalité du pays, que ce soit par naissance, par l'effet de la loi ou par naturalisation, l'ancien étranger et ses enfants, qui sont devenus ressortissants du pays, seront évidemment traités comme les autres ressortissants de ce pays. Il n'a été nullement question de leur octroyer des droits spéciaux pour leur permettre de conserver les caractéristiques nationales de leur pays d'origine.

72. Dans certains cas particuliers, il est arrivé que des personnes représentant un élément non étranger dans un pays ont reçu une nationalité étrangère et que des droits spéciaux leur ont été accordés en tant qu'éléments d'une minorité. Ceci a été le cas des Polonais qui résidaient dans le Territoire de Dantzig. Cependant, il s'agissait là d'une situation tout à fait particulière.


4. Classification du point de vue du caractère national de l'Etat
73. Une distinction importante peut être faite entre les deux types de minorités suivants:
a) Minorités sous la juridiction d'un Etat qui est essentiellement l'expression des caractéristiques nationales du groupe prédominant; et
b) Minorités placées sous la juridiction d'un Etat qui ne peut être identifié à aucune nation, mais qui occupe une situation neutre au-dessus des différences nationales et culturelles.

74. Les membres de ces deux types de minorités ont évidemment droit à un traitement non discriminatoire, notamment en ce qui concerne les droits et libertés énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme. En règle générale, les minorités figurant dans la catégorie a revendiquent des mesures spéciales pour le maintien de leurs caractères distinctifs, tandis que les minorités de la catégorie b, qui, généralement, sont déjà protégées par la structure même de l'Etat, n'estiment pas nécessaire de le faire. Du fait qu'elles représentent une d'entre les nations placées sous la juridiction d'un Etat, les minorités appartenant à cette dernière catégorie peuvent même ne pas être considérées comme minorités, sauf du point de vue numérique.

5. Classification du point de vue de l'origine et de la situation par rapport à l'Etat
75. Se fondant sur le critère de l'origine et de la situation de la minorité par rapport à l'Etat, on peut distinguer les catégories de minorités suivantes:
a) Minorités descendant de groupes qui existaient avant la création de l'Etat;
b) Minorités descendant de groupes qui appartenaient antérieurement à d'autres Etats, mais qui ont été, ultérieurement, annexées à l'Etat par suite d'un acte international tel que, par exemple, un traité portant des ajustements territoriaux;
c) Minorités formées par des personnes d'origine, de langue, de religion, de culture, etc., communes qui ont migré ou ont été amenées dans un pays et sont devenues ressortissantes de l'Etat; ou par leurs descendants.

76. Les membres de chacune de ces catégories de minorités ont évidemment droit à un traitement non discriminatoire, notamment en ce qui concerne les droits et libertés énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme.

77. Dans le cas des minorités appartenant à la catégorie a, ainsi que l'indique le paragraphe 75 ci-dessus, toute demande formulée par la minorité en vue de bénéficier de mesures spéciales pour la protection de ses caractères distinctifs, devrait être examinée en tenant compte des faits historiques et, en particulier, de la manière dont l'Etat a été constitué. L'Etat peut avoir été formé, soit sur une base d'égalité entre les divers groupes qui le constituent, en matière de langue, de religion, etc., soit sur la base d'une langue ou d'une religion unique, etc. Dans le premier cas, la minorité est normalement fondée en droit, à revendiquer des mesures spéciales pour la protection de ses caractères distinctifs; la question de savoir si des minorités de la deuxième catégorie ont un droit quelconque, juridique ou autre, à ces mesures spéciales, dépendra des circonstances existantes. Il ne faut pas perdre de vue la distinction existant entre les lois appliquées (nationales et internationales) et les considérations de lege ferenda.

78. Dans le cas des minorités appartenant à la catégorie b, le droit à des mesures spéciales pour la protection des caractères distinctifs de la minorité peut avoir été satisfait par l'instrument aux termes duquel le transfert du territoire a été effectué. Toutefois, indépendamment de tout instrument, il peut exister un droit moral dont la validité dépendrait des circonstances existantes.

79. En général, les minorités constituées par des immigrants ou leurs descendants, telles que celles appartenant à la catégorie c, ne sont pas considérées comme ayant droit, au titre de "minorité", à des mesures spéciales de protection. Cependant, les individus qui sont venus dans le pays sous certaines conditions précises (tels que les travailleurs contractuels), ou ceux qui ont été amenés de force dans le pays (tels que les esclaves), ou encore les éléments amenés par l'Etat dans son territoire en vertu d'un plan de colonisation intérieure, peuvent être moralement fondés à revendiquer des mesures spéciales de protection.


6. Classification selon les circonstances dans lesquelles la minorité a été rattachée à l'Etat

80. Un autre critère de classification tient compte de la nature volontaire ou involontaire du rattachement des individus à un Etat. Il peut exister des chevauchements entre cette classification et la précédente; toutefois, comme il n'y a pas analogie absolue, le présent classement est indiqué ici séparément. On peut distinguer à ce point de vue les catégories de minorités suivantes:
a) Minorités qui ont été placées de force sous l'autorité de l'Etat, en général à une époque relativement récente;
b) Minorités qui se sont placées volontairement sous l'autorité de l'Etat.

81. Les membres de chacune de ces catégories de minorités ont, bien entendu, droit à un traitement non discriminatoire, particulièrement en ce qui concerne les droits et libertés énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme.

82. Les minorités qui relèvent de la catégorie a se fonderont souvent, pour réclamer des mesures spéciales de protection de leurs caractères distinctifs, sur l’"injustice" fondamentale de leur annexion forcée. Toutefois, cette prétention ne serait normalement considérée comme raisonnable que si l'annexion avait eu lieu à une époque relativement récente, et serait normalement considérée comme déraisonnable si l'annexion avait eu lieu dans un passé reculé (par exemple pendant la conquête romaine). Il est évidemment impossible d'appliquer une stricte limite de temps dans les cas de cet ordre, car les divers facteurs en cause varient énormément. Ce qui est important, c'est de savoir si les sentiments de la minorité se sont modifiés avec le temps; le facteur temps n'est pas en lui-même un critère. Dans certains cas, les descendants de minorités de ce genre, qui ont peut-être été placées de force sous l'autorité de l'Etat, il y a très longtemps, peuvent légitimement réclamer que des mesures spéciales soient prises pour conserver leurs caractères distinctifs. Ce fait dépendrait dans une large mesure de la question de savoir si les membres des dernières générations de la minorité ont encore conscience de ces caractères, désirent les conserver et ont un sens vif de l’"injustice" de l'annexion, ou si, au contraire, ils se sont pratiquement assimilés au groupe prédominant.

83. Dans le cas des minorités relevant de la catégorie b, si la minorité réclame des mesures spéciales pour la protection de ses caractères distinctifs, elle doit se fonder sur les conditions dans lesquelles ce groupe a été placé, officiellement ou non, sous l'autorité de l'Etat. Le groupe peut avoir été annexé à la suite de conventions accordant à la minorité des mesures spéciales de protection, ou bien parce que la minorité a accepté de manière expresse ou tacite et sans formuler aucune réserve ni condition spéciale les lois de l'Etat qui l'a annexée.


7. Classification au point de vue de l'inclusion totale ou partielle dans la juridiction territoriale de l'Etat


84. Si l'on prend comme autre critère l'inclusion totale ou partielle de la minorité dans l'Etat, on peut distinguer les catégories suivantes de minorités:
a) Minorités faisant partie d'un groupe qui relève de l'autorité de plusieurs Etats;
b) Minorités relevant totalement de la juridiction territoriale d'un Etat.
85. Dans le cas des minorités relevant de la catégorie a, on peut établir les subdivisions suivantes:
i) Minorités faisant partie d'un groupe divisé entre deux ou plusieurs Etats contigus;
ii) Minorités divisées entre deux ou plusieurs Etats non contigus;
iii) Minorités faisant partie d'un groupe réparti entre plusieurs Etats, dont certains sont contigus et d'autres ne le sont pas.
86. Les membres de chacune de ces catégories de minorités ont, bien entendu, droit à un traitement non discriminatoire, particulièrement en ce qui concerne les droits et libertés énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme.

87. Lorsqu'une minorité est divisée entre deux ou plusieurs Etats contigus, ou lorsque la minorité a les mêmes caractères que la majorité de la population d'un autre Etat, ce fait peut avoir de graves conséquences sur le plan international.


8. Classification selon les aspirations de la minorité

88. Dans un passage précédent du présent mémorandum, on a souligné que les groupes sociaux en général, et en particulier ceux qui forment des minorités, se caractérisent non seulement par leurs traits distinctifs héréditaires, mais aussi par leurs aspirations quant à l'avenir. Si l'on prend comme critère les aspirations de diverses minorités, on peut distinguer les catégories suivantes:
a) Minorités qui désirent tout au plus conserver certains de leurs caractères distinctifs et ne cherchent que peu ou ne cherchent pas du tout, en raison d'un sentiment de solidarité active avec le groupe prédominant, à devenir autonomes;
b) Minorités qui désirent non seulement conserver et développer leurs caractères distinctifs, mais encore parvenir à l'autonomie politique ou administrative, ou à l'indépendance complète ou bien qui désirent être rattachées à un autre Etat.
89. Les membres de chacune de ces catégories de minorités ont, bien entendu, droit à un traitement non discriminatoire, particulièrement en ce qui concerne les droits et libertés énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme.

90. Dans le cas des minorités qui relèvent de la catégorie a peut se poser le problème de la conservation de leurs caractères distinctifs. Par contre, le problème posé par les minorités relevant de la catégorie b a trait à l'organisation politique de l'Etat.


Chapitre IV
Observations finales
91. Le principe fondamental général sur lequel a été mis l'accent dans cette étude relative à la définition et à la classification des minorités est que les membres de toutes les minorités, quelle que soit la manière dont on définit ou classifie ces minorités, ont droit à un traitement non discriminatoire, notamment en ce qui concerne les droits et les libertés énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme. Dans son mémorandum sur les formes et les causes principales de la discrimination (E/CN.4/Sub.2/40), le Secrétaire général a déjà indiqué dans leurs grandes lignes les mesures à prendre pour lutter contre la discrimination.

92. Abstraction faite du principe général de la non-discrimination, il existe certains "droits spéciaux" et "services positifs" que les minorités revendiquent en vue de jouir d'une égalité réelle, de sauvegarder leurs caractères distinctifs et de développer leur culture propre. Les revendications relatives au "droits spéciaux" et aux "services positifs" doivent être examinées en considérant chaque cas d'espèce et en tenant compte d'une part, de la situation passée et présente et d'autre part, des principes généraux consacrés par la Charte des Nations Unies. Il va de soi que cela n'exclut nullement la mise au point d'un système général de protection des minorités.
93. Enfin, il ne faut pas perdre de vue que la Commission des droits de l'homme et l'Assemblée générale ont écarté les propositions qui tendaient à insérer dans la Déclaration universelle des droits de l'homme des articles relatifs à la conservation des caractères distinctifs des minorités. Au cours de sa deuxième session, la Commission; sans tenter d'établir elle-même un texte sur cette question, a inséré à titre provisoire, dans le projet qu'elle a préparé, deux variantes, l'une préparée par son Comité de rédaction4, l'autre préparée par la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités5. A sa troisième session, la Commission a cependant décidé de façon définitive de n'insérer aucun article concernant cette question dans le projet qu'elle recommandait. Lors de sa troisième session, l'Assemblée générale était saisie de trois propositions ayant trait à la protection des minorités, présentées par les délégations du Danemark, de la Yougoslavie et de l'Union des Républiques socialistes soviétiques6. L'Assemblé générale a rejeté ces trois propositions et adopté la résolution 217 C (III) dont voici le texte:
"SORT DES MINORITÉS
"L'Assemblée générale,
"Considérant que les Nations Unies ne peuvent pas demeurer indifférentes au sort des minorités,
"Considérant qu'il est difficile d'adopter une solution uniforme de cette question complexe et délicate qui revêt des aspects particuliers dans chaque Etat où elle se pose,
"Considérant le caractère universel de la Déclaration des droits de l'homme,
"Décide de ne pas traiter par une disposition spécifique dans le cadre de cette Déclaration la question des minorités;
"Renvoie au Conseil économique et social les textes soumis par les délégations de l'Union des Républiques socialistes soviétiques, de la Yougoslavie et du Danemark sur cette question dans le document A/C.3/307/Rev.2 et prie le Conseil d'inviter la Commission des droits de l'homme et la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités à procéder à un examen approfondi du problème des minorités, afin que l'Organisation des Nations Unies puisse adopter des mesures efficaces de protection des minorités raciales, nationales, religieuses et linguistiques."
-----------
4 Le texte proposé par le Comité de rédaction (E/500, annexe A, article 31) est ainsi conçu:
"Dans les pays où se trouve un nombre appréciable de personnes, de races, de langues ou de religions autres que celles de la majorité des habitants, les personnes appartenant à ces minorités ethniques, linguistiques ou religieuses ont le droit, dans les limites assignées par l'ordre public, d'ouvrir et d'entretenir des écoles ou des institutions religieuses et culturelles, et d'user de leur langue dans la presse et dans les réunions publiques, ainsi que devant les tribunaux et autres autorités de l'Etat."
5 Le texte proposé par la Sous-Commission (E/600, annexe A, arlicle 31) est ainsi conçu:
"Dans les pays où se trouvent des groupes ethniques, linguistiques ou religieux bien définis qui se distinguent nettement du reste de la population et qui désirent bénéficier d'un traitement différentiel, les individus appartenant à ces groupes ont le droit, dans les limites assignées par l'ordre et la sécurité publics, d'ouvrir et d'entretenir des écoles ou des institutions religieuses ou culturelles, et d'user de leur langue et de leur écriture, dans la presse et dans les réunions publiques, ainsi que devant les tribunaux et autres autorités de l'Etat, si elles jugent bon de le faire."
6 Les textes présentés à la Troisième Commission de l'Assemblée générale, au cours de ses débats relatifs à l'adoption d'un article sur la protection des minorités, destiné à figurer dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, sont cités ci-après dans l'ordre chronologique où ils ont été présentés (A/C.3/307/Rev.2):
Union des Républiques socialistes soviétiques:
Ajouter au texte adopté un nouveau paragraphe séparé pour remplacer l'article 31 du texte de Genève qui a été supprimé par la Commission:
"Chacun a droit à sa propre culture ethnique ou nationale, qu'il fasse partie de la majorité ou de la minorité de la population en ce qui concerne la race, l'origine nationale ou la religion: à la création de ses propres écoles et à l'enseignement dans sa propre langue, ainsi qu'à l'emploi de cette langue dans la presse, les réunions publiques, les tribunaux et les autres institutions cie l'administration publique."
Yougoslavie:
Ajouter le texte suivant:
"A
"Chacun a droit à la reconnaissance et à la protection de sa nationalité, ainsi qu'au libre développement de la nation à laquelle il appartient.
"Les collectivités nationales qui constituent un Etat en commun avec d'autres collectivités sont égales en droits nationaux, politiques et sociaux.
"B
"Toute minorité nationale, considérée en tant que communauté ethnique, a le droit de développer complètement sa culture propre et de parler librement sa langue. L'Etat doit lui assurer la protection de ces droits.
"C
"Les droits proclamés dans la présente Déclaration s'étendent également à tout individu appartenant aux populations des Territoires sous tutelle et des territoires non autonomes."
Danemark:
Ajouter l'article suivant:
"Toutes les personnes appartenant à une minorité raciale, nationale, religieuse ou linguistique ont le droit d'ouvrir des écoles qui leur soient propres et de recevoir l'enseignement dans la langue de leur choix."

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