Libellés

Les Relations des Jésuites contiennent 6 tomes et défont le mythe du bon Sauvage de Jean-Jacques Rousseau, et aussi des légendes indiennes pour réclamer des territoires, ainsi que la fameuse «spiritualité amérindienne».

mardi, janvier 23, 2007

LE LAÏCISME PEUT-IL ÊTRE NEUTRE?

Le titre du rapport Proulx est le suivant: Laïcité et religions. Dans le titre même de ce rapport, les auteurs signifient clairement que la laïcité ne peut pas être neutre. Elle est en fait la religion absolue qui s'oppose à toutes les religions. Disons-le clairement: à leurs yeux, elle est la religion suprême ou ultime. L'usage du singulier pour le terme «laïcité» et du pluriel pour le mot «religions» le confirme très bien.

Nous sommes conscients qu'au début des Conclusions et recommandations du rapport Proulx, les auteurs inventent une sous-espèce de la laïcité dénommée laïcité ouverte. Nous traiterons plus tard de cet animal. Nous pouvons dire maintenant que nous considérons cette découverte comme une pure diversion Et que nous voyons dans cette laïcité composée une pincée de poudre aux yeux. Les auteurs ne s'en servent, à toute fin pratique, jamais quand ils veulent établir un point quelconque.

La raison pour laquelle nous nous opposons fermement à l’‘école laïque, c'est que la structure de tout le document dévoile que les auteurs ont comme objectif de faire du laïcisme la religion d'Etat imposée aux étudiants - dès le primaire - l'étude obligartoire. En un mot, ce que nous récusons, c'est une dictature véhiculant les dogmes maçonniques. D'ailleurs, cette vision se confirme quand dans la première page des conclusions, les auteurs disent ce qui suit:

Cette perspective est celle de la laïcité ouverte. Dans le cadre d'une école inspirée par les valeurs communes des citoyens, cette perspective fait place à un enseignement culturel des religions et des visions séculières du monde.

Nous refusons de croire que la notion d'enseignement culturel des religions et des visions séculières du monde soient là par pur hasard, comme nous le démontrerons dans l'annexe traitant du caractère de religiosité du maçonnisme, l'enseignement culturel des religions, à toute fin pratique, est un sommaire du catéchisme maçonnique.

Nous avons cru nécessaire d'offrir des textes qui établissent, en deçà de tout doute, le fait que la laïcité est une religion (religion officielle du maçonisme) et que c'est la religion que les auteurs désirent imposer à l'Etat. L'ajout de l'adjectif ouvert au terme «laïcisme» n'est qu'un simple effort.

Le titre même du texte suivant nous décharge de la tâche de faire des commentaires. C'est un texte d'une grande clarté. Il fut conçu pour traiter un problème identique à celui auquel on fait face au Québec (période Waldek-Rousseau, Combes: l'apogée du laïcisme en Occident).

Louis Capéran, L'invasion laïque: de l'avènement de Combes au vote de la séparation, Paris, Desclée de Brouwer, 1935, pp. 216-224.

Louis Capéran, L'invasion laïque: de l'avènement de Combes au vote de la séparation, Paris, Desclée de Brouwer, 1935, pp. 216-224.
---------------------------------------------------------------
LE DÉBAT SUR LA NEUTRALITÉ SCOLAIRE

L’évolution de l'enseignement moral devait nécessairement réagir sur la conception de la neutralité scolaire, et la Ligue de l'Enseignement suivrait, ici encore, le mouvement de l'Idée laïque. Depuis quelque temps, le débat avait changé de face.

L'impossible neutralité, l'hypocrite neutralité, la neutralité aussi déshonorante qu'irréalisable: tous ces arguments avaient peu à peu émigré d'un camp dans l'autre.

Jadis, lorsqu'Henry Maret qualifiait la neutralité de «tartuferie au dix-septième degré», les tenants de la réforme de Ferry se trouvaient gênés par ce franc aveu; les adversaires, au contraire, s'empressaient d'en tirer avantage. En fait, dans ce conflit du rationalisme et de la tradition que la révolution de 1882 et de 1886 avait transporté à l'école populaire, le paradoxe de l'enseignement neutre se soutint, d'abord, à la fois par un rigoureux silence en matière confessionnelle et par le recours explicite aux communs principes spiritualistes de la tradition religieuse nationale et du déisme rationnel. Ne pouvait-on même s'épargner toute incursion doctrinale? Après tout, ce n'était qu'une question de méthode: il suffisait de faire appel au sentiment moral, d'enseigner les préceptes concrets de «la bonne vieille morale de nos pères », et de s'en remettre ensuite à la famille et au prêtre, pour le support dogmatique éventuellement nécessaire à ces leçons. Seulement dans cette voie de prudente abstention, sauvegarde précaire de la neutralité de l'école, le terrain commun des vérités religieuses naturelles vint à être évité tout autant que le domaine réservé de la religion révélée. De la neutralité confessionnelle de Ferry on passa à la neutralité philosophique de Raymond Poincaré.

Mieux valait certes le mutisme des instituteurs incroyants, sur Dieu et les devoirs envers Dieu, que leur affirmation hésitante et insincère ou leur hostile et brutale négation. Encore est-il qu'à ce silence systématique ni la foi de ces instituteurs ne trouvait son compte; ni l'école, l'âme qui lui manquait. La neutralité philosophique n'était pas moins intenable que l'autre. S'il fallait unifier et vivifier les leçons morales, impossible de ne pas les rattacher à des principes, à un idéal, à une doctrine. Le déisme exclu, la religion de la science s'offrait, et c'est le plus souvent d'une métaphysique athée que s’inspirait cette religion. Voilà pourquoi les anciens adversaires de la neutralité réclamaient maintenant, comme un pis-aller, l'exécution des promesses de Ferry révisées par Poincaré; et c'étaient'les «laïques» qui ne voulaient plus être «neutres», et qui s'en allaient répétant: «Neutralité égale nullité on mensonge. Vérité passe neutralité.»

Sous couleur de vérité scientifique, Maurice Allard avait demandé dans la Lanterne, le 16 février 1900, que l'on démontrât aux écoliers les origines «naturelles» des religions et, à 1'aide du transformisme et du monisme, «le néant de l'hypothèse Dieu». Son dessein s'affichait en ces termes: «Si l'on veut débarrasser l'enfant de l'erreur religieuse, il est nécessaire de l’armer philosophiquement et scientifiquement pour la lutte... Chasser Dieu de l'école ne serait même pas suffisant, il faudrait l'y combattre, en instituant un véritable enseignement scientifique et en ne craignant pas de donner aux élèves les premiers éléments de critique religieuse... Les enfants sortiraient de l'école avec un véritable bagage de raison, et il leur serait facile, dans ces nouvelles conditions, de résister à l'influence pernicieuse du moine et du prêtre.» L’«Universitaire de la Petite République ne le cédait pas à Maurice Allard en rationalisme robuste et, partant, en détestation de la neutralité: «Au point de vue de la raison et bientôt de l'histoire, écrivait-il le 8 avril 1901, l'incident catholique est clos.» Et quelques jours après, le 29 avril: «N'est-il pas vrai que, si l'État entretient concurremment l'école de la raison et celle de l'obscurantisme, il démolit d'une main ce qu'il édifie de l'autre? La singulière économie du budget national met aux prises deux enseignements d'État. Il y en a un de trop. Lequel doit disparaître?»

Ces réclamations et ces thèses, dont il serait trop aisé de multiplier les exemples et les citations, ne se rencontraient pas seulement dans les articles et les polémiques de presse. Les pédagogues agitaient la question avec autant de fièvre que les journalistes et les politiciens. Une brochure d'Alfred Moulet, professeur à l'école normale de Lyon, fut d'autant plus remarquée quelle était signalée par une lettre-préface de F. Buisson. Elle s'intitulait: L'Idée de Dieu et l'éducation rationnelle. L'auteur reprochait à l'école publique de supprimer « le droit de l'athée » et d'atteindre «la libre pensée du matérialiste, en la personne de son enfant »; d'ajourner « le règne de la raison et de la justice sociale » ; de prêter « aux dogmes défaillants l'appui de son spiritualisme d'Êtat ». Bien au contraire, une éducation rationnelle devra discuter l'idée de Dieu et tellement l'épurer « que l'échafaudage des absurdités dogmatiques s'écroule... et que l'homme se substitue à Dieu, sa dernière idole ». Il faudrait initier l'enfant « aux droits et aux devoirs du libre penseur » et lui donner le choix en ces termes: « Tu es libre de confesser ou de nier Dieu, et ta raison est souveraine. » Bref, si neutralité il y avait encore, celle d'Alfred Moulet, anti-confessionnelle, malveillante au déisme, tout à la dévotion du droit de l'athée, se plaçait aux antipodes de la neutralité instituée par Ferry.

Ferdinand Buisson en avait si bien le sentiment que, dans sa chaleureuse recommandation, il prenait tout de même la précaution d'indiquer qu'il aurait des réserves à faire sur la question religieuse. Son élogieux certificat n'en contribuait pas moins à la réputation de l'auteur et au succès de la brochure. Nouveau sujet de mélancolie pour Darlu, à qui L'Idée de Dieu et l'éducation rationnelle devait singulièrement déplaire; car Alfred Moulet, dans l'hypothèse d'une réconciliation des Églises ennemies, revendiquait hautement, même en face d'un protestantisme rationalisé, la raison d'être permanente de l'enseignement laïque. Après avoir reconnu, d'accord avec Buisson, que le professeur de l'école normale de Lyon était un esprit cultivé et de modération relative: « Que peut-on attendre des autres, gémissait Darlu, de ceux qui ne sont ni éclairés ni modérés? L'avenir de notre pauvre pays reste bien obscur. » En revanche,.Émile Chauvelon, dédaigneux de la « mentalité » religieuse des Buisson et des Gabriel Monod, voyait avec satisfaction Alfred Moulet s'avancer loin d'eux, sur là route lumineuse du Progrès, à quelque distance des pionniers du monisme et du socialisme intégral (1).

(1). A. Moulet, L'idée de Dieu et l'éducation rationnelle, Storck,1904, voir pp. 10. 54-55- 61, 86-89. Cf. A. DARLU, Rpdg., 1904, I, p. 402; E. Chauvelon, Repps.,20 mars 1904, p.290.

Vers le même temps, le 21 février 1904, Albert Bayet écrivait dans la Raison: « Nous poursuivons la campagne d'émancipation laïque au cri de: « A bas la neutralité! » Le 4 octobre suivant, avec une indulgence des plus irrévérencieuses pour les réformateurs de 1882, René Viviani expliquait aux lecteurs de l'Humanité que la neutralité, qui « est » et « fut toujours un mensonge », avait été « peut-être un mensonge nécessaire ». - A la place de ce terme usé, déprécié, avili et, de-ci de-là, vigoureusement honni, celui d'«impartialité» commençait de s'introduire et montait en faveur. Il n'était question que de l'enseignement rationnel et critique, du devoir d'exposer le pour et le contre, de la liberté d'opinion du maître et de l'élève. Les instituteurs de la Seine déclaraient dans un meeting « que la conception de la neutralité confessionnelle ne répond pas aux exigences de l'esprit moderne ;.... qu'il y a eu confusion dans l'esprit des rédacteurs des programmes officiels entre les termes neutralité et impartialité ; que la vraie impartialité ne peut être garantie que par l'établissement d'un enseignement « critique (1) ». A parler, encore de neutralité scolaire, on distinguait, avec Gustave Lanson (2), neutralité de I'État et neutralité du professeur, la première, « d'abstention et de silence », la seconde, « faite d'impartialité, de discrétion et de respect ». Ou bien la neutralité affadie n'évitait le rebut qu'à la condition d'être relevée du mot laïque.

(1) Bulletin de l'Association des anciens élèves de l'École normale de la Seine, février 1904, p. 121. Cité par GOYAU, l'École d'aujourd’hui, 2e série, p. 206.
Au milieu de tant de discussions, la Ligue de l'Enseignement se devait de faire entendre sa voix. La question fut traitée ait congrès de Biarritz, en 1905.


(2) Rbl., 1er avril et 13 mai 1905.

Au milieu de tant de discussions, la Ligue de l'Enseignement se devait de faire entendre sa voix. La question fut traitée ait congrès de Biarritz, en 1905.

Dans le domaine des oeuvres post-scolaires, ce ne fut évidemment pas la neutralité qu’Édouard Petit recommande aux instituteurs, mais la lutte vigilante contre l'Église. Il montra l’Église s'évertuant à reconquérir, par ses patronages et ses oeuvres de persévérance, les élèves sortis de l'école laïque. Aux républicains laïques d'aviser: amis de l'instruction populaire, anciens maîtres et anciens élèves, tous devaient s'unir et organiser partout des patronages, ou mieux des « Fraternelles laïques ». Le congrès ratifia le plan de campagne du rapporteur, et l'on émit le voeu que les Fraternelles fissent profession de la doctrine de foi laïque popularisée par le manifeste de Lavisse.

Si, dans le domaine scolaire proprement dit, la neutralité restait à maintenir, comment la fallait-il entendre ? Arthur Dessoye, vice-président de la Ligue, avait été chargé de le préciser. Il commença par définir la neutralité négative: l'école, respectueuse de la volonté des familles et de la conscience de l'enfant, doit rester étrangère aux questions religieuses, aux questions métaphysiques et aux débats de la politique active. La métaphysique souleva une controverse : Ferdinand Dreyfus voulait, comme Dessoye, l'exclure de l'école primaire ; Élie Pécaut l'y intégrait, au contraire, comme l'âme intérieure de tout l'enseignement du maître. Finalement, le congrès supprima l'expression « questions métaphysiques » et remplaça « questions religieuses » par « questions confessionnelles » ; mais il fut bien entendu que les devoirs envers Dieu faisaient partie de l'enseignement confessionnel laissé par l'école aux soins de la famille. Sur la neutralité positive tout le monde fut d'accord avec le rapporteur. Elle constitue, exposait Dessoye, le caractère propre de l'enseignement laïque ; elle demande à l'instituteur de s'inspirer des principes de 1789 et d'appliquer, dans son oeuvre d'éducation intellectuelle, morale et civique, la méthode rationnelle : l'instituteur forme l'enfant au libre examen et à l'esprit de tolérance, il lui inculque le respect de la personne humaine, il lui communique le sentiment de la justice et de la solidarité sociales, il fortifie son attachement au régime démocratique, à la République et à la Patrie, sans renoncement à la fraternité des peuples.
A la séance de clôture, ces principes et ce programme furent consacrés avec éclat par la présence et les discours de Louis Barthou, Ferdinand Buisson, Léon Bourgeois et Bienvenu-Martin, ministre de l'Instruction Publique. Buisson, en particulier, revint sur la neutralité scolaire. Pourquoi le Conseil général de la Ligue avait-il mis cette question à l'ordre du jour ? Précisément parce que la neutralité avait aujourd'hui trop d'amis, des amis inquiétants. Le président de la Ligue prenait à témoin le ministre que les instituteurs protestaient contre la fausse neutralité, qu'ils ne laisseraient pas réduire leur rôle à l'insignifiance, qu'ils demeureraient les propagateurs - pourquoi ne pas ajouter: les propugnateurs ? - de l'idéal laïque. « Qu'est-ce à dire ? insistait Buisson, sinon qu'il faut définir le mot « neutre » par le mot « laïque ». L'école n'est pas neutre tout court, elle l'est dans la mesure où elle peut l'être, en restant laïque d'esprit, laïque de méthode, laïque de doctrine.» - Mais encore ? L'apôtre de la laïcité intégrale n'aurait pas eu besoin de s'expliquer davantage, puisque les congressistes s'étaient déjà référés au credo laïque de Lavisse.

Il confirma cependant, dans le style feutré et le meilleur rationalisme de Bourgeois, que l'école ne peut manquer d'avoir « une couleur, une tendance », d'exprimer toujours, d'inspirer toujours quelque chose, et c'était, tout au moins, avec l'amour de la République, « le respect de la souveraineté de la Raison (1) ». Bienvenu-Martin acquiesça, applaudit, renchérit presque ; il attesta que l'esprit du ministère de l'Instruction publique était le même que celui de la Ligue de l'Enseignement.

(1) La Foi laïque, p. 209-212.

IV

LES REVUES PÉDAGOGIQUES

Pour considérable que soit l'influence de la Ligue de l'Enseignement par sa puissante organisation, son activité de propagande et son crédit officiel, il s'en faut de beaucoup qu'elle dirige présentement l'évolution du laïcisme scolaire. Elle en enregistre les résultats, bien plutôt qu'elle ne pourrait, le voulût-elle, en arrêter la progression. Aussi ne suffit-il pas de compulser la collection de ses congrès et de ses bulletins. Il importe de feuilleter les revues que lisent, au retour ou en prévision de leurs classes, des milliers d'instituteurs et d'institutrices, qui sont convaincus de la primauté du spirituel - leur spirituel - et qui entendent former à leur image les générations nouvelles. De plus, il faut regarder dans les sacs d’écolier et, s’ils ne s’y trouvent pas, dans les casiers de classe, les divers manuels en usage. C'est l'histoire de demain qui s'annonce par l'orientation donnée aux leçons de morale, d'instruction civique et d'histoire. On a très justement fait observer que « la fonction de l'école laïque est de placer presque automatiquement à gauche de la génération qui s'en va la génération qui vient. » Ce sinistrisme - l'expression est du même auteur (1) - ne fut jamais plus marqué qu'aux premières années du XXe siècle. Il ne régit pas seulement les idées politiques , il s'empare des idées morales et s'enhardit jusqu'à vouloir bousculer, après les dogmes, l'idée religieuse elle-même.

(1) A. THIBAUDET, Les idées politiques de la France, (Paris, Stock, 1932), P. 25-26.

Les revues pédagogiques sont si nombreuses et occupent tant de rédacteurs qu'il s'est fondé, en janvier 1897, une Association générale de la Presse de l'Enseignement, ayant à sa tête un pionnier de la laïcité, Paul Beurdeley, vice-président du cercle parisien de la Ligue de l'Enseignement (2). Tout autant que les intérêts de la pédagogie, la presse de l'enseignement sert la cause de l'esprit laïque; c'est pour la mieux servir encore que s'est constituée l'association de ses membres. Chacun pour sa part, les divers organes pédagogiques préparent, appuient, prolongent, souvent élargissent et précipitent, l'effet des motions et des voeux présentés dans les congrès, au sujet de l'enseignement et de l'éducation.

(2) Sur cette association et Paul Beurdeley, voir Rpdg., 1898, II. p. 402-412; 1900, I, p. 48 et ss -1., 1905, II, p. 316-559.

Par la valeur philosophique, scientifique et littéraire de ses articles, la Revue pédagogique s'adresse à l'élite du corps enseignant. Son comité de rédaction est présidé par Octave Gréard, que Jules Ferry a « surnommé le premier instituteur de France », et Buisson : « le Rollin de la république ». Non seulement elle reste fidèle à la pensée de Ferry, mais, sans prendre l'initiative d'aucun manifeste, elle accentue son inspiration première, ne fût-ce qu’en ouvrant, plus libéralement qu'autrefois, les pages de son recueil aux panégyriques de la laïcité, aux commémorations et aux fêtes laïques, aux congrès de la Ligue de l'Enseignement. Peut-être aussi faut-il voir un symbole dans le fait qu’à la mort de Gréard, un arrêté ministériel du 6 août 1904 lui donne pour successeur Amédée Gasquet, le laïque sans reproche qui a remplacé Charles Bayet à la direction générale de l'enseignement primaire.

Le Manuel général de l'instruction primaire, fondé par Guizot en 1833, est le doyen des journaux scolaires. Ferdinand Buisson, qui en pris la direction en mars 1897, lui infuse une vie nouvelle, heureux d'avoir en mains un puissant moyen d'action pour conduire encore, après avoir quitté la rue de Grenelle, la tâche des instituteurs etl'évolution de l'école laïque. Le Manuel général, Buisson le répète souvent, ne fait pas de politique. Néanmoins, lorsque la politique de Combes se jette à toute allure dans l'anticléricalisme, Buisson, avec une prudence de langage égale à la hardiesse de sa libre pensée, ne cesse pas de convier ses lecteurs à l'oeuvre d'émancipation intellectuelle, morale et sociale, qu'il attend d'eux. Discours et projets de loi sur Ii question scolaire, congrès de la Ligne de l'Enseignement et des Amicales, controverses et polémiques sur la neutralité et ses violations, tout lui fournit occasion d'entretenir et d'exciter la foi des instituteurs laïques.

Ceux-ci ne demandent qu'à marcher de l'avant. Les journaux pédagogiques mal adaptés à ce besoin de mouvement doivent disparaître. Le Journal des instituteurs, fondé en 1857, se maintient en suivant les traces de son aîné le Manuel général. Mais l'Instruction primaire n’a pu survivre à la retraite d'Adolphe Lenient, et l'Union pédagogique de Félix Comte s'est éteinte aussi en 1901. Leur clientèle passe à l'École nouvelle d'Émile Devinat.

Son nom seul incline l'École nouvelle à substituer aux tons neutres trop démodés une couleur laïque plus vive: « S'il fallait, écrit Devinat, que la neutralité en restât au point où nos aînés de 1882 s'étaient vus obligés de Ia laisser par provision, toute une grande partie de l'oeuvre scolaire de la République serait fallacieuse et dérisoire. » Afin de servir le dessein des Jules Ferry, des Paul Bert et des Buisson, la revue lutte « contre tout ce qui, dans l'école, endort ou enchaîne, pour tout ce qui éveille ou affranchit ». Elle se refuse, toutefois, à mener campagne pour ou contre telles solutions politiques ou sociales. Libre à l'instituteur d'être anticlérical et socialiste, mais pas de propagande à l'école. Au congrès de Marseille, un certain nombre de jeunes instituteurs ont chaleureusement acclamé cette constatation d'Albert Surier: «Camarades, c'est la première fois qu'on ose parler publiquement de l'école primaire socialiste. » Devinat les désapprouve. L'école ne doit être ni « l'école anticléricale, qui inspire le mépris des croyances et déclare ouvertement la guerre aux dogmes », ni non plus « l'école socialiste, qui insiste sur l'antagonisme des classes ». Qu'est-ce à dire? Inquiet, un instituteur « laïque et républicain » demande des précisions. Devinat s'empresse de calmer son émoi. S'il faut éviter « 1'anticléricalisme des luttes politiques », il y a place pour[...]

Aucun commentaire:

Archives du blogue