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Les Relations des Jésuites contiennent 6 tomes et défont le mythe du bon Sauvage de Jean-Jacques Rousseau, et aussi des légendes indiennes pour réclamer des territoires, ainsi que la fameuse «spiritualité amérindienne».

dimanche, octobre 15, 2006

LE CHANT DU CYGNE : VERS L'AN DEUX MILLE

Le résumé suivant est basé sur «The Terrors of the Year Two Thousand», un essai extraordinaire, prophétique, écrit en 1948 par un des plus renommés philosophes du vingtièmes siècle, Etienne Gilson, le fondateur dans les années trente de l'Institut pontifical des études médiévales. L'essai a été réimprimé en 1984 par le père John Kelly, de la «University of Saint Michael's College», pour célébrer le centième anniversaire de Gilson. Pour faciliter la lecture du résumé, j'ai employé les mots de Gilson librement, ne les entourant pas toujours avec des guillemets. Cet article a été publié dans le «Aurobindo's Journal of India's Resurgence» (Pondicherry, Inde, juillet 1985).
Si nous remontons l'histoire de l'humanité, nous ne trouvons aucun bouleversement comparable à celui du vingtième siècle. L'Europe a été ravagée par les guerres sans prédécant, anéantissant brutalement deux générations avec une haine si féroce et ingénieuse dont seul l'homme est capable de concevoir pour l'homme. La science a arraché de la matière le secret de sa destruction, la fission nucléaire étant non seulement la plus intime révélation de la nature du monde physique, mais en même temps la libération de l'agent de destruction le plus puissant que l'homme ait jamais eue à sa disposition. La recherche en biologie a été poussée indépendamment de toute intention divine ou humaine et, bien que ses découvertes soient enveloppées de secret, le génie génétique semble capable de déterminer les sexes, de faire des hommes ou des femmes à volonté, de sélectionner et de produire des gens adaptés aux diverses fonctions aussi bien que les sélectionneurs le font avec des chiens ou des chevaux ou le bétail.
Dans cette nouvelle société qui est construite, de laquelle la destruction stupide est un prélude nécessaire ou un parallèle, une société qui saura comment se donner les esclaves et même les reproducteurs dont elle a besoin, qu'est_ce qui arrivera à la dignité et la liberté de la personne humaine? Dans ce contexte, comme Etienne Gilson s'est exprimé, les prophéties les plus audacieuses de H.G. Wells palissent, car dans l'Île du docteur Moreau ils travaillaient toujours pour transformer des brutes sauvages en hommes. Dans la société future rendue possible par la manipulation génétique, ce sont des hommes qu'ils transformeront en brutes pour les employer à travailler à la fin de l'humanité devenue alors indigne du nom.
La création arrogante de cette nouvelle société, parallèlement à l'annihilation de toutes les valeurs, est la simple prémisse d’une proposition plus blasphématoire: cet homme peut usurper la position dans le cosmos traditionnellement assigné à Dieu. Jusqu'à tout récemment, l'homme ne pensait rien, ne disait rien, ne faisait rien qui ne venait pas de la certitude qu’il existé un dieu ou des dieux. Mais si la totalité du passé de l'homme dépendait de la certitude de l’existence de Dieu, son avenir entier semble dépendre du contraire: que Dieu n'existe pas. L'Antéchrist, écrit Gilson, n'est pas parmi nous, il est en nous. C'est l'homme lui_même, usurpant la puissance illimitée, créatrice et procédant à la certaine suppression de ce qui est, pour purifier la voie pour la création problématique de ce que sera, l'idole monstrueuse faite de nos propres mains à notre propre image et ressemblance.
Déjà, certains des mouvements principaux dans l'art et la philosophie du vingtième siècle ont préparé le terrain. Le symboliste français Mallarmé a voulu construire un art qui aurait la valeur d'une création surnaturelle et qui serait capable de rivaliser avec le monde des choses créées au point de le supplanter totalement. Supprimer la création existante pour en créer un autre était aussi l'ambition de du surréalisme authentique que André Breton défini comme quelque chose de dictée par la pensée, hors de tout contrôle de la raison, divorcée de toutes les préoccupations esthétiques ou morales. Selon lui, l'acte surréaliste le plus simple consiste à descendre dans la rue, pistolet au poing et tirer au hasard, de toutes ses forces, dans la foule. Pourquoi pas, demande Gilson, puisque le massacre des valeurs est un pas nécessaire dans la création des valeurs qui sont vraiment nouvelles: dans ce renversement de perspectives, le bien et le mal sont interchangeables: tous les moyens sont bons, préconise Breton, quand employés pour détruire les concepts de la famille, de la patrie et de la religion.
Ainsi, libéré par l'athéisme, étant devenu un dieu sans l’avoir demandé, l’homme ne sait que faire de sa divinité, car il ne trouvent ni en lui ni hors de lui une possibilité de s'accrocher. «Ainsi, nous n'avons ni derrière nous ni devant nous. écrit Jean-Paul Sartre, aucune justification ou excuse». C'est ce que j'exprimerai en disant que l'homme est condamné à être un homme libre, sans aucun appui et sans aucun secour, condamné à chaque instant à inventer l'homme. C'est le diagnostic existentialiste de la condition de l'homme du vingtième_siècle, abandonné à lui-même, éternellement condamné, comme Sisyphe, à se créer dans l'angoisse permanente de son propre néant.
Il doit faire rouler un énorme rocher jusqu'au haut d'une colline, et, lorsque celui_ci atteint le sommet, la pierre lui échappe des mains et dévale la pente opposée.
Une nouvelle folie, cependant, saisit l'âme, une tentation d'abord, ensuite un consentement vague à quelque chose qui germe dans le tréfonds du coeur de cet être décimé, un consentement et, aussi ironique que cela puisse sembler, un désir d'esclavage, comme la démolition de la partie précédente du vingtième siècle prépare la voie à la fin pour la prolifération de cultes et de communautés, auxquel l'individu est préparé à offrir sa liberté, ou, plus crûment, vendre son âme. Avec une grandissante impatience, écrit Gilson, les hommes attendent l'arrivée du maître qui leur imposera toutes les formes d'esclavage, en commençant par le plus mauvais et le plus dégradant de tous: celui de l'esprit! Béni soit celui qui nous délivrera de nous! Seul sous un ciel dorénavant vide, l'homme offre à quiconque désir le prendre, cette liberté futile qu'il ne sait pas comment employer. Il est prêt pour tous les dictateurs, les meneurs de ces troupeaux humains qui les suivent comme des guides et qui sont finalement tous conduits par eux à la même place: l'abattoir.

IIPour contrer cette spirale vers l'abîme, Gilson préconise une proposition simple, aussi vraie maintenant qu'elle l’a toujours été: accepter un principe divin au_delà de nous, reconnaître de tous côtés, en dedans aussi bien qu’en dehors, d'une simple et même lumière qui éclaire la compréhension et règle les choses, parce que l'esprit qui se trouve en eux les reconstruit dans l'esprit selon l'ordre de la même intelligibilité créatrice. Cette harmonie d'esprit et de la matière, de la pensée et de la réalité, décrit Einstein, comme le plus incompréhensible des mystères. Cela ne stupéfie pas Gilson le philosophe, car il connaît sa source, ce même Dieu dont l'existence pure est à l'origine de toute la réalité aussi bien que de la connaissance.

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